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Mois : août 2023

Le gardien

Tout est parti d’une image ici, celle d’un dessin issu du comics Yojimbot, à propos de l’un de ses personnages.

Et la suite se trouve juste en dessous.

Le vent soufflait assez fortement sur la vallée et ses environs, faisant danser et chanter toute la flore, pareilles à une respiration. À leur rythme, quelques pétales et feuilles s’envolaient, pour rejoindre des lieux totalement différents. Une glycine en fleur diffusait son odeur entêtante, attirant par centaines les insectes pollinisateurs comme les abeilles et les bourdons, qui s’en donnaient à cœur joie. De nombreux oiseaux chantaient, perchés sur les branches des quelques arbres qui avaient déployé leurs branchages. Un chemin naissait au milieu des collines visibles au loin, et serpentait à travers la vallée jusqu’à disparaître à des lieues d’ici, entre de nouvelles collines. Le soleil, au travers d’un ciel d’un bleu rappelant celui d’une craie, dardait ses rayons sur le pays endormi dans le calme. Quelques nuages moutonnaient en silence, souhaitant ne pas troubler la quiétude absolue.

Une cascade venait alimenter un cours d’eau, parcourant la vallée en chuchotant, répondant au vent. Il était pareil au chemin, jadis emprunté par les hommes, et accompagnait les poissons et batraciens qui l’arpentaient. Certains décidaient de s’arrêter quelque part et ne repartaient jamais.

Il y avait un point de cette vallée où les deux chemins se rencontraient tendrement, et échangeaient un mot à l’ombre des arbres. Un plan d’eau se trouvait là, ayant tout d’une marre, parsemée de nénuphars dont quelques-uns étaient en fleur, quelques libellules volant à travers les joncs, des grenouilles cherchant à les manger, ainsi que les autres insectes volant de-ci de-là. La mare se trouvait au centre d’un cercle dessiné dans l’herbe  délimité par de petites pierres de même taille, recouvertes de mousse et de racines, plantées dans le sol. Un torii[ Portail traditionnel japonais, généralement en bois, rouge,  gardant l’entrée d’un temple shintoïste] résistant aux effets du temps et de la météo, mais ayant totalement perdu sa peinture, se tenait là, enjambant une des entrées du cercle. Un peu plus loin, ce qui ressemblait à des escaliers remontait vers des ruines, presque entièrement dissimulées par la nature.
À l’intérieur du cercle, des blocs de pierre, eux aussi entièrement recouverts de mousse et de fleurs, étaient le théâtre de la danse des ombres projetées des branches dans le vent. Sur l’un des blocs, faisant face à la mare, une figure humanoïde était assise. Elle portait une longue cape de voyage, sur laquelle de jeunes pousses commençaient à émerger et  grouillant de vie. Ses épaules étaient couvertes de mousse. Elle portait un chapeau conique  en bambou tressé, accroché à son “menton”. Elle était habillée d’un kimono bleu, troué et usé, aux nuances de bleu clair et bleu nuit, rappelant La vague d’Hokusai. Dans un ciel hypothétique de ce kimono, des nuages blancs étaient représentés. Reposant contre son épaule, ce qui ressemblait à un sabre était lui aussi rattrapé par le passage du temps.
À chaque fois qu’il réussissait à traverser la frondaison protégeant le banc, le soleil venait se refléter sur sa peau métallique. Sa tête n’était en réalité qu’un cylindre métallique, rappelant une longue canette. Au centre, ovale et fissuré, un grand œil complètement jaune était éteint. En dessous, une large ligne se dessinait, rappelant une bouche, qu’il n’avait jamais ouverte pour parler.

Un oiseau, un rouge-gorge dodu, voleta de son épaule sur son chapeau ce qui fit basculer sa tête en avant, son menton reposant contre sa poitrine. Le rouge-gorge prit peur et s’envola dans un arbre juste au-dessus de lui. L’automate regardait à présent ses genoux, sur lesquels dormait un carnet, protégé du temps par un tissu sombre et ses mains.

Il savait ce qu’il y avait d’inscrit dans ce carnet, mais jamais il ne se réveillerait pour en raconter le contenu. Il avait entendu son dernier ordre il y avait bien longtemps, trop longtemps pour qu’un humain ne puisse le réveiller. Cela remontait d’ailleurs à d’autres temps, la dernière fois que quelqu’un ou quelque automate avait foulé ce chemin.
Ainsi, le garde silencieux continuait de surveiller ce lieu qui n’avait pas besoin d’être gardé, en attendant la fin de tout.   
Pourtant, venant des collines perdues au loin, une figure vint lentement jusqu’à la rencontre des deux chemins, au son d’un cliquetis métallique régulier. Il marqua une halte sous le torii et observa les lieux, cherchant dans sa mémoire s’il était déjà venu. Visiblement, c’était le cas. Et lui, sur le banc, il le connaissait. Tout comme le robot sur le banc, il était fait de métal, et ses trois yeux de tailles différentes se posèrent sur lui pendant qu’il réfléchissait.

En un fragment de seconde, il revit les événements qui avaient mené à leur rencontre et “ressentit” ce que les humains appelaient de la douleur. Ce n’était en réalité qu’un mot que ses concepteurs lui avaient appris à associer à certaines images, il ne ressentait en réalité rien. Rien que la froideur du métal qui le constituait.
Ils s’étaient rencontrés à la guerre, une des nombreuses guerres opposant deux hommes et leur ego[ Je ne le savais pas, mais l’égo s’écrit initialement sans accent]. Il se souvint des troupes métalliques et humaines se faisant face, certains à pied, d’autres sur des montures, attendant le signal pour arracher la vie, avant de se faire arracher la sienne. Il se rappela qu’ils se faisaient face alors que la poussière saturait l’air, les corps et les pièces détachées, jonchant le sol, dans le silence surréel qui succédait au chaos absolu. Leurs généraux morts, ils n’avaient plus de raisons de s’affronter, et à l’ombre de la carcasse géante d’un robot, ils s’inclinèrent l’un vers l’autre.

Dans le vent, son kimono jaune pâle, sur lequel des pétales de chrysanthème blanc tombaient en motifs réguliers, dansait au rythme du vent et en réponse aux ombres des feuilles. Bien qu’il ne soit nullement fatigué, il s’assit un moment à côté de son vieil ami, et il pouvait le dire, il ressentait de la joie et de la paix.

En observant la mare, il constata que quelque chose était étrange. Il n’y avait pas la moindre trace de vie d’un être humain, ni de robot fonctionnel, alors comment cela se faisait que ce lieu soit si bien entretenu ? Alors que la vie poursuivit son cours, aucunement troublée par sa présence sur ce banc, il fit une multitude de recherches pour comprendre. Afin d’être sûr qu’il n’y avait personne ici, il grimpa au niveau des ruines du temple, à l’endroit où il se souvenait qu’elles se trouvaient, ne restant plus que quelques blocs de pierre recouverts par la nature. Mais il ne trouva personne.
En se retournant, il avait un visuel dégagé sur la mare, le banc, la vallée. Et là encore, rien. Il aperçut un groupe de biches au loin, ruminant en silence. Le vent soufflait encore, faisant onduler les herbes hautes. Avait-il besoin de partir ? Sa soif de découvertes le poussait à voyager, encore et encore. Mais ici, ce serait un paradis de paix pour lui.

Pendant qu’il redescendait à la mare, le soleil avait commencé à se coucher, nimbant la vallée d’une flamboyante couleur orangée. Comme sortant d’un conte horrifique, les ombres s’étendaient indéfiniment.

Et en un claquement de doigts, alors qu’il patientait en observant le gardien des lieux, la nuit froide et sombre remplaça la fin de journée. Lui qui était parfaitement nyctalope, cela ne le dérangea pas. 

Soudainement, un mouvement dans le coin de son champ de vision l’arracha à ses calculs, et il se retourna, la main sur le pommeau de son sabre, en train de dégainer. Ce qu’il avait sous les yeux, il ne l’avait jamais vu. Partout, de petits êtres, pas plus gros qu’une pomme, se manifestaient. Certains étaient blancs, nimbés d’une lueur sélénite les faisant luire. D’autres étaient noirs, semblables au ciel nocturne, éclairé par une pleine lune distante. Tous étaient entièrement poilus, donnant à certains des apparences de boules de poils. Leurs formes variaient grandement, de la simple chenille à la sphère, en passant par les êtres humanoïdes à grande tête ou de drôles d’animaux à trois pattes.

Si lui était absorbé dans leur observation, eux l’ignoraient royalement, s’employant à entretenir le lieu, tassant l’herbe ou la coupant, retirant les ronces ou les autres plantes parasites, taillant des plantes, nettoyant l’eau de la marre…

De ce qu’il pouvait voir, ils n’étaient actifs qu’autour de la mare, ignorant les alentours. Il n’y comprenait rien, si ce n’est que ce n’étaient pas des ennemis, mais des sortes de gardiens.

Devait-il vraiment partir ? s’interrogeait-il de nouveau.

La réponse était évidente et s’imposa d’elle-même.

Oui, afin de découvrir d’autres lieux comme celui-ci, le laissant perplexe. Et il le savait, ici son ami était entre de bonnes mains, il ne risquait rien.
Ainsi, au petit matin, après avoir observé ces petits êtres s’affairer, il reprit sa route vers sa soif de curiosité.