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Mois : mars 2023

Bestiaire : Ophiocordyceps Latéralis

Les champignons…

Quels …

Quoi ? Que sont les champignons ?

De grands experts et spécialistes se sont essayés à répondre à cette question, ce qui me fascine et continuera de le faire pour un long moment. Cette capacité à chercher des réponses, en considérant que les théories et réponses existantes sont erronées, est stupéfiante. D’autant plus lorsque les réponses trouvées sont en tout point identiques à celles existantes et donc erronées (selon le postulat de base). Je ne suis pas là pour donner la mienne, parce qu’elle n’a aucun intérêt ! Mais il est cependant utile de parler un peu des champignons avant de parler de la créature qui capte notre attention.

Ni plante ni animal, les champignons sont une catégorie du vivant à part entière, ce qui est fantastique. Beaucoup d’autres catégories du vivant ont eu besoin de se rassembler pour être pleinement représentées. En réalité, ce serait oublier la quantité hallucinante d’espèces de champignons qui existent, possédant toutes des caractéristiques aussi variées. Il faudrait prendre le temps de faire un papier à part les concernant, mais il est simple de parler des espèces les plus répandues comme les bolets, les chanterelles, les cèpes, les calocères, les clavaires, les amanites, les hygrophores ou les truffes par exemple. Je l’avoue, je trouve les noms des champignons originaux et amusants à dire ou écrire.

Ils sont essentiellement composés d’eau, nous dépassant dans le chiffre des 65%. Ils sont absolument partout, ayant investi tous les lieux du vivant : l’air, la terre, l’eau (douce ou salée). Certains des experts dont on abordait le travail un peu plus tôt, estiment que leur existence remonte à très loin dans le temps, bien avant le temps des hommes, ou même des dinosaures ! Et toujours selon eux, ils auraient joué un rôle capital dans l’évolution de la flore, l’aidant notamment à se diriger hors de l’eau !

Ici, nous n’aborderons pas les champignons qui peuvent malheureusement peupler les corps humains, attaquer les habitations ou produire du fromage, fort savoureux. Non, nous ne parlerons que de ce qui peuple les bois et forêts de notre beau monde. Les experts n’ont pas fini de les dénombrer, je ne vous offrirais donc pas de nombre, préférant ne pas vous donner une fausse information. Ce que je sais en revanche, c’est que le plus grand ferait un peu plus de quarante hectares ! Un véritable mastodonte qui pèserait la bagatelle de quatre cent tonnes ! Ahurissant ! Tout simplement… Comment est-ce possible ? Le champignon n’est pas seulement la partie visible, à savoir le sporophore. Ce dernier n’est que l’appareil reproducteur du champignon, étant par ce biais qu’il émet des spores. Non, le champignon est en réalité bien plus grand et se trouve sous terre, légèrement sous la surface. Le mycélium est un long filament, généralement blanc, et c’est cela qui couvre quarante hectares pour notre champion. Quelques variétés sont comestibles et la faune ne se fait pas prier pour les déguster goulûment, s’en servant aussi parfois comme d’un lieu d’habitation. Les champignons sont aussi très utiles pour la nature, décomposant les bois, morts ou non.

Je ne pourrai pas prendre le temps de détailler toutes leurs utilisations, mais je souhaite en aborder certaines, absolument ingénieuses et stupéfiantes. Des apothicaires s’en servent pour soigner des malades et blessés, ou pour atténuer leurs douleurs ; des shamans en font la même utilisation, ce à quoi j’émettrais quelques réticences, connaissant également comment ils en utilisent pour entrer en transe et communiquer avec les esprits ; des guerriers de contrées bien au nord, se transmettent des connaissances à propos de champignons aux propriétés fascinantes, et tout autant terrifiantes, leur assurant par exemple de ne plus ressentir la douleur, de démultiplier leur force, de les priver de la peur, au prix d’effets secondaires souvent graves pouvant conduire à la mort. D’autres, et celui qui nous intéresse en fait partie, ont des caractéristiques impressionnantes, notamment parasitaires.

Ce qui m’amène à ma rencontre avec l’une des créatures vivantes les plus terrifiantes que je n’ai jamais rencontrées. Et croyez-moi, j’en ai rencontrées quelques-unes des créatures effrayantes ! Celle-ci se place loin devant toutes les autres, provoquant un sentiment d’horreur absolue, bien supérieur à celui des Sancrelunes bicéphales, des purulorentules, des harpies de sel, des sans-visages des trois plaines et des chatons. Ces derniers sont clairement les plus terrifiants, et s’ils n’étaient pas handicapés par leur taille réduite, il ne fait aucun doute qu’ils auraient déjà asservi notre population ! Je vous toucherai un mot ou deux sur ces créatures, mais je ne dois pas m’étaler à leur sujet pour le moment. Non, sinon finir cet écrit et le lire en entier serait une tache inhumaine.

Cela remonte au cinq du mois de Brumidor, de l’an… cela n’a pas d’intérêt de le savoir. J’étais en chemin pour étudier des sans-visages qui avaient été observés dans les régions nordiques surplombant le Grand continent. Ces créatures n’étaient absolument pas endémiques de ces régions, il était donc capital de savoir ce qu’elles faisaient ici. Et ce, que ce fût par accident, ou qu’il s’agisse des premiers spécimens observés et observables d’une espèce inconnue. Cela était grandement excitant ! Je n’avais pour ainsi dire, jamais étudié de nouvelles espèces, alors j’étais impatient de me lancer dans leur étude ! La nouvelle de cette découverte me parvint alors que je devais prendre la parole au forum sur les créatures aquatiques des trois vallées. Je l’ai quitté en urgence, afin de me rendre dans l’immédiat auprès des experts observant les sans-visages. Je n’ai rien raté d’intéressant, ces crétins de soi-disant experts du forum discutaient (et avec vigueur en plus !) de la classification du dragon bulle. Une perte de temps.

En raison de sa position géographique, je disposais de deux possibilités pour rejoindre mon objectif : soit emprunter la route commerciale qui relie les trois grands royaumes de l’ouest aux régions du nord, soit couper à travers le Grand continent et de traverser la forêt des cendres, les gorges de souffre et la toundra du clan Cesvi. L’une est relativement sûre, les gardes de chacun des royaumes qu’elle traverse l’arpentant, mais a l’inconvénient de demander trois mois de voyage à cheval ou en calèche. L’autre, bien moins sûre, n’en demande qu’un… C’est alors que, dans la fougue de ma jeunesse idiote, je m’élançais à travers le Grand continent. Les détails de mon voyage ne sont pas des plus palpitants, aussi je vous en épargne. Après trois longs jours de marche, j’atteignais l’orée de la forêt, couverte des cendres qui lui donnaient son nom. A cause d’une pluie récente, l’air était chargé d’une odeur humide et pâteuse, accompagnée des relents âcres et secs des cendres. Aujourd’hui encore, personne ne sait pour quelles raisons toutes ces cendres viennent se déposer ici. Une hypothèse qui est pour moi la plus pertinente, et la mienne, est de tenir compte de la baie brumeuse, plongée comme éternellement dans le brouillard. Je suis à peu près certain qu’un volcan sous-marin s’y trouve et qu’avec le temps, il s’est mis à dépasser de l’eau. Ce dernier projetterait ses cendres en l’air et le brouillard les cacherait. Elles s’accrocheraient aux nuages passant par-là, et arrivant au-dessus de la forêt, une chute de pression les y ferait tomber. Mais mes connaissances sont essentiellement concentrées sur les créatures du vivant, je suis bien plus limité concernant la mécanique et la physique qui le régit.

Mais revenons à nos bouftons. Je suis ensuite entré dans la forêt à la suite d’une observation curieuse de son orée. C’était la première fois que je m’y aventurais, et je fus fortement déstabilisé par les premiers pas que j’y ai marchés. J’avais la sensation d’être coupé du monde, ou d’avoir voyagé dans un tout nouveau. L’air semblait saturé de cendres, les empêchant de tomber au sol à une vitesse normale, on aurait dit qu’elles ne souhaitaient pas rejoindre le tapis de poudreuse par terre. Évidemment, les arbres et arbustes y étaient très grands, car, bien que les cendres obscurcissent les lieux, une douce lumière fade filtrait jusqu’au sol. Plus on s’enfonçait au sein des bois, moins la lumière solaire parvenait à se frayer un chemin jusqu’au sol.

J’ai passé deux longues semaines dans ces bois, à suivre l’un des chemins qui y serpentaient. Et pour y avoir vécu un épisode pluvieux, je peux vous garantir que ces cendres sont un enfer une fois détrempées ! Pires que de la boue, elles collent et salissent tout ce qui entre en contact avec elles ! Je n’y avais pas fait attention en entrant dans cette forêt, mais une ligne de démarcation de la crasse était visible sur le tronc des arbres eux-mêmes ! Ce lieu est hautement intéressant, notamment pour les biologistes. Il existe justement plusieurs bivouacs les regroupant autour et à l’intérieur des bois. Deux d’entre eux sont animés par une petite bisbille, liée à la paternité d’une découverte, mais rien qui pourrait nous chaloir. Ce dont je souhaite vous parler a eu lieu après avoir quitté le camp des erpétologistes, qui se sont installés dans une zone de la forêt où les reptiles en tout genre existent en très grande quantité. On y trouve d’ailleurs de fascinants spécimens exclusivement endémiques à la forêt des cendres, dont la salamandre braisée, qui se cache dans les cendres pour chasser et qui est capable de cracher du feu ! Elle ne doit sa classification en tant que salamandre qu’à cause de sa taille et de son crachat de flammes, trop impuissant.

Désolé, je digresse de nouveau… Je venais donc de quitter ce fameux camp lorsque j’entendis un bruit très proche du cri animal, mais tout aussi proche du râle de douleur. Comprenez bien qu’il s’agit d’une forêt dans laquelle de nombreux animaux provenant d’aussi nombreuses espèces habitent, prédateurs comme proies, il est donc plus que normal d’y entendre des cris de douleur. Et ce cri me fit sourciller, puisqu’il ne s’agissait pas du cri de douleur d’une créature blessée ou en train de se faire dévorer. Et bien que j’eusse perdu mes sourcils après ma rencontre avec une créature capable de cracher du feu ! Je ne parvenais pas à déterminer la source de ce cri, et cette pensée m’obnubila la journée durant, jusqu’à ce que j’installe mon camp pour la nuit, entre deux gros arbres massifs.

Et là encore, il m’accompagna dans chacune de mes tâches. L’agacement qu’il provoquait se mua progressivement en inquiétude alors que je m’installais pour dormir. Ce n’était pas normal qu’il perdure malgré la tombée du voile sombre. J’étais cependant bien impuissant face à ce bruit, que je ne savais qualifier. Un prédateur aurait été silencieux, pareil à la mort, me suis-je alors dit, cela ne pouvait donc pas en être un.

Je n’eus cependant pas à attendre très longtemps pour que cette pauvre bête ne se montre. D’abord simple trait sombre se dessinant au loin, difforme, ne représentant aucune créature que j’avais eu la chance de croiser de ma vie. Et j’en ai vu des créatures ! Un paquet même !

Alors qu’elle approchait, son faible cri plaintif la précédait, et chacun de ses pas me laissait apercevoir un détail de plus. C’était une créature au poil gris, de la taille d’un renard, adulte… Je ne pus dire tout de suite si c’était un renard cendré ou non, les espèces vivant dans cette forêt étant très difficiles à identifier. Ce que je pus voir cependant, c’est qu’il souffrait. Horriblement. Et diable ! Que j’étais terrifié ! Plus que je ne l’avais jamais été.

Cette pauvre bête n’attendait plus que la visite de la faucheuse. Plusieurs stipes[1] se terminant par des petits réservoirs percés, desquels s’échappaient des spores, sortaient de son corps, dont ses yeux. Cet infortuné renard n’était pas mort lors de la pousse de ces appendices, en témoignaient les cicatrices qu’il s’était fait en cherchant à les retirer, certaines suffisamment profondes pour laisser apparaître sa boite crânienne. Plusieurs os de son corps rachitique étaient visibles d’ailleurs, que ce soit sa cage thoracique, ses pattes et sa colonne vertébrale.

C’était pour moi une véritable torture que de le regarder ainsi, mais je n’avais pas le temps de me lamenter sur son sort ! Loin de là ! Je ne l’ai pas présenté, cela étant trivial pour moi, mais ce renard était infecté par un champignon très rare (heureusement) : Ophiocordyceps lateralis. Ces derniers n’infectent généralement que des insectes, notamment certaines espèces de fourmis ou d’araignées. Il ne s’agit normalement que d’un hôte temporaire, puisque l’objectif est d’infecter des oiseaux. C’est en effet dans leur corps qu’ils arrivent à y développer leurs spores. Les volatiles en question viennent manger les insectes infectés, ce qui les infecte à leur tour. Le fungus fait d’ailleurs preuve d’une grande ingéniosité pour faire en sorte que sa consommation ait lieu. Il fait grimper l’insecte infecté en haut d’un arbre ou d’un arbuste où il s’accrochera à une feuille. Il recouvrira alors le corps de son hôte de mycélium aux teintes jaune ou rouge vives, afin de bien être visible. Il arrive dans de très rares cas que le fungus se retrouve dans l’organisme d’un hôte plus gros qu’un oiseau, comme des mammifères de petite taille. Vous l’aurez compris, que l’hôte ici soit un renard fut problématique, et je saisis que j’avais affaire à un spécimen exceptionnellement puissant d’Ophiocordyceps lateralis.

Je devais donc l’éliminer. La survie de la forêt reposait là-dessus. Problème, et de taille : la malheureuse bête m’avait repéré et me bondit dessus avec une vitesse et une agilité que je ne lui aurais jamais soupçonné. Je fus alors arraché de mon lit de fortune, dans lequel il se bloqua. C’est purement cette intervention de la chance qui me permet actuellement d’écrire ces mots. Ces malheureuses bêtes sont pareilles à des zombies et ne fonctionnent plus que comme des insectes, à savoir en réponse à de simples stimuli comme la présence d’une proie potentielle, la présence d’un danger, la présence d’un congénère du sexe opposé… J’étais ici une proie et un hôte potentiel pour l’Ophiocordyceps lateralis. Agissant dans la précipitation, j’attrapai une couverture avec laquelle je calais mon sac dans mon dos lors de la marche, et enveloppai ma cible avec. Je pouvais entendre ses jappements de douleur et de colère alors qu’il se débattait comme un diable, ainsi que les stipes sur son corps se briser alors que j’écrasais cette masse de couvertures grouillante. Vous le comprenez aisément à présent, mais je ne voyage jamais seul. Le danger m’accompagne dans chacune de mes aventures, peu importe quel sol je foule. Alors j’ai toujours avec moi de quoi me défendre. Une petite dague ouvragée avec patience et talent, ornée d’une myriade de gravures que mes piètres capacités de description ne peuvent et ne pourront jamais décrire correctement. Et un gourdin rudimentaire, fait pour frapper et assommer. Il était hors de question de le battre à l’aide de ce dernier jusqu’à ce qu’il perde la vie. Non, il souffrait déjà assez, inutile d’en rajouter. D’un geste mal assuré, je tâtai la couverture pour trouver son poitrail et son cœur, afin d’y glisser la pointe de ma dague. Ce ne fut pas simple, et j’eus peur de devoir ouvrir la couverture pour trouver à l’aide de mes yeux. Finalement, après bien des essais et de longues heures à craindre pour ma vie, j’y suis parvenu. Je ne pouvais cependant pas laisser cette bombe à retardement au milieu de cet environnement si riche en vie ! Je brûlai donc son corps encore enveloppé de la couverture, infectée par les spores du fungus.

Trop bien éveillé pour ensuite retrouver le sommeil, je me suis aventuré jusqu’au bivouac flambant, celui situé le plus au centre de la forêt, où elle est si dense qu’il est obligatoire de laisser des feux allumés en permanence. Là, je leur ai raconté mon aventure, qu’ils eurent bien des difficultés à croire ! Je les comprends, c’est bien la seule fois qu’on entendait pareille histoire. Et je vous le dis en ayant feuilleté de nombreux ouvrages en discutant, et en ayant conversé avec de nombreux spécialistes du sujet, me prenant pour un fou, ou un illuminé cherchant un moment de gloire parce qu’il a été le premier à assister à quelques évènements invraisemblables.

Peut-être que cela vous intéresse, mais je suis bien parvenu à ma destination, finalement. J’ai pu observer les premiers spécimens d’une nouvelle espèce, ce qui m’a valu de connaître un certain intérêt de mes pairs, pendant quelque temps. J’en étais bien content à l’époque ! Avec le recul, cela m’a desservi, étant invité par mont et par vaux pour participer à des colloques plus inutiles les uns que les autres… La célébrité a toujours un revers, loin d’être plaisant.

Je ne vais pas vous abreuver éternellement de mes histoires, je conçois qu’elles vous désintéressent quelque peu. Je vous recommanderai seulement d’être prudent avec les fungus, et de les détruire par le feu si d’ordinaire vous ne croisiez leur chemin. Ils ont une grande capacité de résistance, et un simple nettoyage au savon est inefficace. Cela serait même une forme de suicide, puisque vous seriez dans l’obligation de manipuler le parasite pour le nettoyer.

Finalement, et je vous laisserai sur ces mots, gardez bien à l’esprit que les champignons, quels qu’ils soient, peuvent être considérablement utiles, voire vitaux, mais qu’ils sont à manipuler avec une extrême prudence, pouvant devenir mortels pour celles et ceux ne les connaissant pas suffisamment.

 

 

 

[1] Organe du champignon supportant le chapeau, aussi appelé « le pied »

Alors, comment était la lecture ? J’espère qu’elle vous a plus. J’ai mis un peu de temps pour l’écrire et la corrigée, mais je suis à peu près certain d’avoir laissé passer quelques choses. Rien de grave (si vous en voyez, n’hésitez pas à les signaler, je les corrigerais ! ).

Dans tous les k, j’ai aimé l’écrire, les champignons étant un domaines intrigant. Pour information, ce genre de champignon parasitaire existe. L’ophiocordyceps unilatéralis est l’un d’entre eux et n’infecte que des insectes, les fourmis et araignées il me semble. Il en existe d’autres, infectant également les escargots, par exemple. Cette vidéo vous montre le phénomène https://www.youtube.com/watch?v=DC_NMn8xqKQ

Merci encore pour votre lecture, et si vous avez apprécié, n’hésitez par à partager ceci, ça m’aide beaucoup !