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Mois : février 2023

Miss Howard

Son guide l’invita poliment à entrer dans une petite pièce aux allures de salle d’interrogatoire, comme celles des séries policières. La décoration maigre et l’éclairage faible l’a déçue. Tout cela différait complètement avec la réputation de la maîtresse des lieux (ou maître des lieux, personne ne le savait), Miss Howard, une collectionneuse de renom.  Son contact lui avait donné rendez-vous dans un bar miteux, aux banquettes au cuir passé et au bois collant. Là, il l’avait conduite jusqu’à un immense complexe de hangars, entourés de parking habité seulement d’utilitaires blancs dont la peinture s’en allait. Elle avait ensuite été guidée Jusqu’à la salle d’interrogatoire, comme elle aimait à l’appeler, dans l’un de ces hangars, à travers de longs couloirs froids en béton, seulement éclairés par des néons encastrés dans le sol, le long des murs.

A la façon des couloirs, la déco y était inexistante, et seul le béton gris des murs les habillait. L’éclairage était assuré par un simple plafonnier en forme de soucoupe volante, dont le fil commençait à sérieusement se dénuder.  La lumière qu’il déversait était jaune. Au centre de la pièce, deux chaises d’école ayant bien vécu encadraient une grosse bobine de chantier faisant office de table. Un des murs était ouvert d’une large vitre sans tain, d’où elle le savait, elle était observée. Enfin, pour finaliser l’impression de prison du lieu, une caméra placée à la va-vite dans un coin, ne ratait pas une seconde de ce qui se déroulait.

Tout cela fit naître en elle un doute, plus conséquent que tout ce qu’elle avait éprouvé. Toute cette austérité lui donnait l’impression d’être arrivée en prison, et envie de changer sa définition de l’austérité. Où était le faste et le luxe vantés par Miss Howard et ses fans ? Elle eut à peine le temps de réfléchir à partir, que la porte qui l’avait menée ici s’ouvrit. 

– Bonjour Tempérance ! la salua poliment d’un large sourire une jeune femme brune. Merci d’être venue, installa-toi, l’invita-t-elle en désignant une des chaises de classe et en s’asseyant sur l’autre. 

Tempérance resta cois face à l’arrivée de son vis-à-vis. Aujourd’hui encore elle ne pouvait l’expliquer, mais son cerveau avait cessé de fonctionner. Elle se sentait désarçonnée par un flot de questions qu’elle souhaitait poser, et la nouvelle venue la bloquait dans ce cheminement, sans raison particulière. 

– Tout va bien ? s’enquit cette dernière. Installez-vous, cela vous aidera à vous détendre. 

– Mais… Je… parvint à articuler Tempérance.

Elle reprenait progressivement pieds, lui permettant de se calmer. Elle observa un instant la jeune femme en face d’elle avant de finalement s’asseoir, maladroitement.

– Pour quelle raison m’avez-vous faite venir jusqu’ici ? Lors de …

– Veuillez-me suivre s’il vous plait, la coupa la jeune femme en se levant rapidement et souplement. Nous avons tout préparé. Par ici, continua-t-elle en se plaçant devant la porte, maintenant ouverte.

Tempérance se retourna pour sonder le visage de son guide, cherchant à savoir si elle se moquait d’elle. Préférant ne pas se poser davantage de questions, elle se leva et la suivie. Peu de temps après, et quelques couloirs de bétons plus tard, elles pénétrèrent dans une grande verrière de style Eiffel blanche, dans laquelle d’innombrables papillons voletaient. Le lieu avait été pensé comme un jardin, abritant des centaines de plantes de toutes sortes, le tout étant bien agencé et entretenu. Un chemin en gravillons blanc traversait la pièce jusqu’à former un cercle en son centre, où une table en fer blanche attendait, accompagnée de deux chaises. Une cloche en fer recouvrait un plateau, lui aussi de fer, et dissimulait son contenu. 

Alors que sa guide l’accompagnait jusqu’à la table et la chaise sur laquelle, elle l’avait compris, elle devait s’asseoir, Tempérance remarqua la présence de tout un tas d’éléments à même la terre, au milieu des plantes. Un long frisson la parcourue, la laissant avec une sueur froide. Il était assez simple de voir que la terre était jonchée de déchets organiques, allant de simples déchets alimentaires comme des pluches de fruits ou légumes, jusqu’à des cadavres d’animaux.

Tempérance eu soudainement très chaud et son cœur s’emballa. Où est-ce que je suis putain de tombée ?! jura-t-elle intérieurement. Elle n’eut cependant pas à y réfléchir, une nouvelle personne venant de s’asseoir en face d’elle.

 – Bonjour Tempérance ! Merci d’avoir fait le déplacement. Vous pouvez m’appeler Trésor, et je représente Miss Howard, la célèbre propriétaire des lieux. Si nous faisons appel à vos services, c’est afin de nous aider avec ce qui est dissimulé par cette cloche, dit-elle en la tapotant avec l’index. Mon employeur a été vraiment impressionnée par la façon dont vous avez su retrouver des artéfacts que la rumeur disait perdus à jamais. Vous l’aurez compris, vous allez devoir recommencer pour nous.

 –   Excusez-moi, l’interrompit Tempérance d’une voix rauque, mais auriez-vous de l’eau ? J’ai la gorge sèche.

Trésor la dévisagea un instant, un sourire pincé sur ses lèvres, Tempérance y lisant parfaitement une colère froide et viscérale mal cachée.

 – Évidemment, répondit Trésor, avec cette fois, une totale maîtrise de ses émotions. Pouvez-vous nous en ramener ?  S’enquit-elle auprès des serviteurs en retrait, autour de la table.

 – Désolée de vous avoir interrompue, s’excusa Tempérance alors qu’un homme quittait la pièce à la recherche d’eau. Je ne voulais pas …

 – Ce n’est rien, la coupa Trésor. Vous avez bien fait et c’est pour moi une parfaite transition. Vous pourrez faire appel à nos services à n’importe quel moment, et où que vous soyez.  Nous vous fournirons tout ce dont vous aurez besoin pour mener à bien votre recherche, que ce soient des moyens financiers, matériels ou humains. En ce sens, nous avons réalisé un virement de vingt mille euros sur un compte ouvert à votre nom, dans une petite banque discrète domiciliée à Jersey.

Un serviteur choisi ce moment pour revenir avec un élégant plateau en métal, fruit du travail précis et attentionné d’un artisan sculpteur. Dessus se trouvaient une carafe et deux verres en cristal, aussi issus d’un travail de précision. Tempérance accueillit ce verre d’eau avec joie. Elle était en nage, résultat combiné de la chaleur qui régnait dans la verrière et de la panique qui montait en elle. Ajoutées aux cadavres d’animaux, la pression qu’elle subissait ainsi que les activités bancaires illicites dans lesquelles elle trempait maintenant, la terrifiaient. Elle porta le verre à ses lèvres pour essayer de reprendre pieds. 

 – Passons à l’objet de votre recherche, voulez-vous… poursuivit Trésor, en soulevant la cloche.

En dessous, dans le plateau d’argent, reposaient un joli verre vide soufflé avec soins, une coupelle en faïence remplie d’un citron à moitié pelé accompagné de quelques rondelles d’un autre citron et de petits bouquets de plantes que Tempérance ne reconnaissait pas. Sur l’une d’elle, un joli papillon majoritairement doré avec des notes de rouge et de noir, cherchait à la butiner.

 – Vous devrez chercher un tableau, celui représenté ici, continua Trésor en montrant le plateau de la main. Il s’agit de la nature morte au citron pelé et au verre taillé, de Maria Margaretha van Os, anciennement exposé à la Haye. Nous savons que l’exemplaire exposé est une reproduction, et que les conservateurs sont formels quant à la disparition de l’original. Vous partirez dès demain pour La Haye afin d’en apprendre davantage. Rapportez-nous ce tableau, et vous serez payée en conséquence.

 – De combien de temps est-ce que je dispose ?

 – Ce n’est pas une question de temps, répondit sèchement Trésor en se levant. Artéfact vous donnera tous les détails que vous devez connaître, dit-elle en désignant un colosse à sa droite. Ce fut un plaisir de vous rencontrer Tempérance, J’espère vous revoir rapidement.

 – Par ici je vous prie, l’invita poliment Artefact.

Désarçonnée par cette entrevue aussi rapide qu’impressionnante, et ayant à peine pu boire, elle resta assise quelques secondes. D’un geste mal assuré elle but son verre et suivi Artéfact hors de la verrière. Durant tout son trajet vers un petit salon entièrement gris, sentant le renfermé, elle se demanda où elle était arrivée et comment elle pourrait se sortir de ce guêpier.

 

 

 

Merci pour votre lecture ! Celle-ci fait suite à un atelier d’écriture que j’ai eu la chance de faire à Nantes. L’un des exercices consistait à choisir une œuvre d’art et à imaginer une histoire à partir de celle-ci, ce que j’ai refait ici. Si vous voulez savoir laquelle, il s’agit d’une nature morte : la nature morte au citron pelé et au verre taillé, de Maria Margaretha van Os https://www.rijksmuseum.nl/en/collection/SK-A-1107

J’espère que cette lecture vous aura plus, et je vous donne rendez-vous prochainement, pour quelque chose de plus long !