Last updated on 3 février 2022
De toutes les créatures qu’il m’ait été donné de voir et d’étudier, je dois dire que la plus perfide et cruelle de toutes est le dragon des marais. Comme leur nom l’indique, on ne les trouve que dans les régions marécageuses, mais ils ne s’agissent pas vraiment de dragons. Comment faire pour les trouver et les identifier si le nom qui leur est donné n’est pas le bon !? s’était exclamé mon ami Emmett. Et je ne peux que lui donner raison ! Il s’agit en réalité de dragons serpents. Ces créatures, dont les plus longues peuvent atteindre jusqu’à une cinquantaine de mètres, passent la majeure partie de leur temps à nager dans les eaux vaseuses des marais. Dans de rares cas, ils sont pourvus de pattes leur permettant de s’accrocher aux rochers ou troncs d’arbres qui jonchent son environnement. Il est d’autant plus rare, et je pèse mes mots, de les voir arborant des appendices utiles au vol, à savoir, des ailes. Mais de ma longue carrière à étudier des créatures de toute taille, je n’en ai jamais vu pourvus de ces appendices.
« C’est une chance ! », clameraient des collègues, pour qui cette capacité à voler serait un don du malin en personne. En effet, il faut connaître les armes en leur possession pour chasser, pour savoir que voler en ferait des créatures de destruction massive. Comme les dragons, ils sont capables de cracher, et c’est ici que le problème devient ingénieusement épineux. Leurs crachats, puisqu’ils sont de types différents, peuvent être de gaz mortel ou d’acide. Vous en conviendrez que c’est un sacré problème ! Fichtre ! Des créatures volantes capables de cracher du gaz provoquant le décès, au-dessus de leurs zones de chasse… Cela revient à imaginer un engin volant, qui serait capable de tuer tout ce qui se trouve dans une zone se trouvant en-dessous, et pouvant s’étaler sur plus de cent mètres de long, lorsque le vent souffle un peu ! Nous sommes vraiment chanceux qu’ils ne sachent pas voler… Oh oui ! À ce jour, je n’ai eu connaissance que d’un seul cas enregistré, dans les archives de la coquette bourgade de Nechilly. Cette dernière abrite une énorme collection de récits draconiques, que je vous recommande chaudement. Mais ce n’est pas le sujet. Parmi ces ouvrages, vous trouverez le journal d’une malheureuse ayant suivi un de ces dragons des marais volants. Son intérêt s’est éveillé peu après l’anéantissement d’un petit village juste à côté du sien, qu’elle ne cite pas. C’est une situation que je comprends. L’inconnu attire autant qu’il effraie, et c’est la raison qui pousse de nombreuses personnes à agir dans la précipitation, voir la panique !
La jeune femme avait alors décidé de suivre la créature dans son élan de carnage. La tâche n’était pas très compliquée, il suffisait de suivre la route de destruction et de morts qu’elle essaimait. Ce qui devenait plus compliqué, c’était de la localiser précisément, sans s’approcher de trop près, au risque de faire à son tour partie des victimes de la faucheuse aux écailles. Afin de couper court aux spéculations, c’est malheureusement ce qui lui arriva. Cela est ce que je pense, ces notes s’interrompant juste après avoir noté qu’elle n’avait plus de nouvelles informations sur le dragon. Elle avait rejoint la très réduite cité de Belinfruit, petite ville côtière asphyxiée par une attaque du dragon. Pendant plus d’une semaine, elle avait pris de nombreuses notes sur les victimes encore présentes, les dégâts provoqués en ville et alentour. Dans la précipitation, ce qui est une erreur, elle a commencé à remuer un peu plus la zone, ne voyant pas la cible de ses recherches se montrer. Son raisonnement était assez correct, ces grandes bêtes se remettant en route environ une semaine après être repues de destruction.
Il ne faut surtout pas chercher à voir un dragon des marais, jamais. Les bébêtes habitant les marais les évitent toutes, bien au courant de la dangerosité que ces dragons représentent. Ils sont capables de se fondre totalement dans le décor, se recouvrant des algues ou de toute autres plantes parvenant à vivre, ou survire dans ces zones hostiles que sont les marais. Ils arrivent ainsi à se faire passer pour un rocher ou un tronc, ou encore à se cacher sous de jolis nénuphars, maisons de nombreux batraciens, comme les rainettes blanches, ou oiseaux, comme les hulottes à houppes cendrées.
Les récits de notre aventurière s’arrêtent soudainement, après avoir repéré ce qui aurait dû lui mettre la puce à l’oreille : un tronc semblant se déplacer. Elle ne devait clairement pas connaître les talents de camouflage de notre énorme reptile, sinon elle aurait pris ses jambes à son cou ! Cette capacité à se camoufler est son arme principale lors de la chasse. Associée avec sa grande aptitude à se déplacer en silence, cela en fait un assassin hors pair. Généralement, une fois sa proie localisée, il se déguise et se déplace pour entourer son pauvre repas, qui a bien souvent la chance de ne pas savoir ce qui lui arrive. Mais lorsque le plat comprend ce qu’il se passe, quelque chose rend le dragon serpent cruel. Pour s’assurer de ne pas perdre sa proie, il va discrètement cracher des nuages de gaz odorant, dont l’objectif est de la diriger là où il le souhaite. Au final, la malheureuse se retrouve dans un nuage de gaz dont elle ne peut s’évader et meurt asphyxiée. Dans le cas où notre dragon des marais crache de l’acide ou du venin, les attaques sont bien plus rapides, à la manière d’un serpent. C’est bien là la raison pour laquelle ils sont appelés “dragon serpent”.
Pour finir, je dirais que la seule et unique fois où j’ai rencontré un de ces monstres, je n’ai eu la vie sauve que grâce à la triste gentillesse d’une génisse éléphante qui passait par là, repas beaucoup plus intéressant qu’un humain. J’en ai profité pour me faufiler hors d’atteinte de ses mâchoires et son acide avant qu’il n’ait fini d’engloutir la pauvre bête.
Je trouve ces monstres absolument fantastiques, et fascinants. À l’instar des serpents, ils ont réussi à tirer profit de leur corps et à en faire une arme d’une puissance destructrice. Qu’ils frappent violemment leurs victimes de leurs crocs ou les asphyxient, ils ne les ratent que rarement. Associés à leur aisance dans le domaine du camouflage, leur survivre est une chose qui relève de l’impossible, mais qui se faire lorsque le destin vous y aide.
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