Skip to content

Étiquette : peur

La bicoque

Je souhaitais vous partager ceci pour Halloween, mais le temps m’a manqué. Ce n’est pas grave, le voici ! On s’écarte de la poésie, de l’aventure et du fantastique, pour quelque chose qui fait peur (qui essaye de faire peur).

Bonne lecture !


De lourds nuages gris sombre tapissaient le ciel de leur air lugubre. Un vent frais venait souffler par rafales entre les deux buttes qui longeaient la vallée qu’ils arpentaient. Alors qu’ils arrivaient en bordure d’un champ de blé qui avait pourri sur pieds, la femme la plus jeune du groupe rompit le silence.

    • C’est donc ça l’origine de cette odeur pestilentielle ? maugréa-t-elle. C’est fou comme peu importe la forme qu’il prend, le blé pue.

    • Je doute que ce soit ça, lui répondit un quadra au visage tailladé par la fatigue. Il doit y avoir une bête crevée dans l’coin, c’est pas possible autrement.

    • Mes chéris, est-ce vraiment utile d’avoir la réponse ? Je propose qu’on avance, poursuivit la troisième et dernière membre du groupe. Je sais qu’il y a longtemps que je n’ai plus rien d’une princesse, mais j’aimerai profiter du luxe d’avoir un toit au-dessus de ma tête cette nuit pour dormir. Et je propose qu’on fasse le tour de toute cette pourriture.

    • Ne t’en fait pas Marjorie, tu n’as pas des goûts de luxe. On veut tous dormir sous un toit, surtout que les tentes sont foutues.

    • Ça tombe bien, regardez là-bas, dit l’homme en leur tendant des jumelles. Il y a un bâtiment qui ressemble à une grange. Je pense qu’on sera loin d’un quatre étoiles, mais on sera pas dehors.

    • Eh bien, qu’est-ce qu’on attend ? En route pour l’espèce de grange que nous a trouvée Rob’, et faites attention où vous mettez les pieds, y’a du blé pourri…

Le petit groupe marcha tranquillement vers le bâtiment, toujours fouetté par les bourrasques. En s’approchant, ils ne décélèrent aucune activité autour et en conclurent qu’il était abandonné, depuis longtemps.

    • Allez le palace, montre-nous ce que tu as dans le ventre ! s’exclama la jeune femme en se jetant sur la porte pour l’ouvrir.

    • Attends Jasmine ! Lança Rob’, on ne sait pas ce qu’il y a à l’intérieur, alors autant être prudent.

    • C’est bon, c’est qu’une grange mec. Y’a aucun bruit à l’intérieur, il n’y a aucun risque.

    • Justement, insista l’homme en portant la main à son arme à feu. Le groupe qu’on avait croisé près de New-London m’avait parlé de créatures qu’ils avaient rencontrées de trop près, et qui avaient tué deux de leurs membres. Elles étaient totalement silencieuses et affectionnaient particulièrement les endroits clos et obscurs.

    • Détends-toi du slip mec ! lança, Jasmine. C’est safe[ En anglais, signifie sécurisé, sans dangers].

    • Jasmine, intervint Marjorie, écoute Rob’. J’ai pas envie de crever parce qu’on s’est précipitées. Alors s’il te plaît, ouvre cette porte avec précaution…

La main toujours posée sur le loquet de la porte, elle jeta un regard tendu à ses deux camarades, son assurance l’ayant totalement quittée. Une goutte de sueur roula dans son dos; Marjorie déglutit difficilement, avant de continuer.

    • Plus je m’approchais de cette grange, moins j’étais bien. Sincèrement, si on ne dort pas ici, je vous en veux pas.

  • Arrêtez de me faire peur comme ça les gars, murmura Jasmine entre ses dents. Bon, j’ouvre, préparez-vous.

Le bruit de deux armes lourdes qu’on arme lui répondit.
Ils étaient prêts et concentrés.
Peu importe ce qui sortirait de cette grange, ils allaient le descendre.
Jasmine annonça d’un hochement de la tête l’ouverture de la porte, et d’un geste, elle souleva le loquet qui la libéra. À l’intérieur, les ténèbres régnaient, percées seulement de-ci de-là, par de faibles traits de lumière provenant de nombreux orifices dans les murs et le toit. Mais la lumière qui s’engouffrait maintenant par l’entrée leur confirma ce qui les effraya : les ténèbres grouillaient. Partout, elles semblaient se mouvoir en tous sens. Alors que certaines cherchaient à fuir la lumière, d’autres semblaient soudainement attirées par ce nouveau monde et commençaient déjà à sortir.

    • Reculez ! cria Marjorie, joignant le geste à la parole.

    • Attendez, je vais fermer la porte ! lui, répondit Jasmine.

    • Non ! hurla Rob’, trop tard.

Le regard absorbé par la marée d’insectes leur arrivant dessus, Jasmine fit un geste pour fermer la porte, pensant savoir où elle se trouvait. Sa main vint alors trouver l’intérieur de porte, aussi couvert d’insectes. Certain d’entre eux voulurent inspecter ce nouvel environnement qu’était sa main et commencèrent à grimper dessus, tandis que d’autres se sentant agressés, ripostèrent comme ils le purent, arrachant un cri de douleur à la jeune femme.

    • On se tire tout de suite ! vociféra Rob’ en attrapant Jasmine par le bras.

Les flammes d’un feu de camp dansaient harmonieusement avec les ombres qu’elles créaient. Rob’ poussait des cendres avec une branche qu’il avait trouvée, le regard dans le vide, l’esprit absent. Marjorie s’assit lourdement à côté de lui, poussant un soupir tout aussi lourd.

    • Bon, c’est pas joli. Elle a été piquée et mordue plus d’une dizaine de fois sur la main gauche. Sauf en mettant la main dans une ruche, c’est compliqué de voir ça. Celle-ci est complètement gonflée jusqu’au poignet. J’ai dû lui couper deux doigts qui présentaient des formes de nécrose. Elle a de la fièvre et je ne sais clairement pas comment tout ceci va évoluer. Je n’ai pas vu quelles saloperies lui ont fait ça, donc je peux même pas dire si elle passera la nuit ou non.

    • Putain, si on m’avait dit qu’on pouvait crever à cause de petits insectes de merde. J’ai envie de retourner cramer cette grange… grogna-t-il, mais ça serait perdre du temps et je sais même pas comment ils vont réagir…

    • C’est rien, cesse de te faire du mouron. Tu pouvais pas savoir ce qu’il y avait dans cette grange. Tu lui as même plus qu’ordonné de ne pas se précipiter pour l’ouvrir. Tu n’y peux rien. Écoute, j’imagine que tu vas avoir du mal à dormir, mais essaye, je vais monter la garde cette nuit. Je dois la surveiller de toute façon.

    • Merci, Marjo, t’es la meilleure…

    • Ne le répète pas trop, je risque de le croire à force…
      Leur nuit fut longue, agitée par les gémissements de Jasmine, les bruits de la faune sauvage, le vent frais semblant ne jamais cesser de souffler. Rob’ eu l’impression de ne pas dormir, sautant pour saisir son arme régulièrement.

Le lendemain de l’attaque, le groupe ne se déplaça que très peu, trop épuisé par leur nuit. Jasmine avait déliré toute la nuit, sous l’emprise de la fièvre, et probablement du venin des insectes. Par chance, elle garda sa main, ne perdant que deux doigts, grâce aux soins de Marjorie. Cette dernière avait sauté à son chevet dès qu’elle avait gémi de douleur. Rob’, de son côté, s’était levé en pointant son arme dans tous les sens au moindre bruit.

Au levé du jour, la fièvre baissa et Jasmine s’endormit profondément. La nuit suivante, Morphée les rattrapa toutes et elles dormirent d’un sommeil réparateur. Rob’ s’endormit pendant son tour de garde et Marjorie ne le réveilla pas pour prendre son quart. Cela aurait pu être la fin de leurs aventures, mais aucune créature ne les choisit afin d’en faire son festin.

Elles reprirent leur chemin à travers la campagne américaine, le lendemain, reposées. Elles faisaient route vers le nord, nouvel eldorado mondial. Il y faisait un froid à pierre fendre, mais le malheur qui se répondait ailleurs n’y avait pas emprise, selon les rumeurs. Alors, autant s’en assurer elles-mêmes, et pourquoi pas rejoindre un groupe sur place. Dans le cas où c’était également la merde là-haut, elles verraient le moment venu. Rob’, en bon pessimiste qu’il était, avançait que ce n’était que des chimères, mais faisait confiance aux filles.

Le ciel peint grossièrement d’une couleur ocre épaisse, tâché de gris, elles arpentèrent durant deux jours, les buttes et vallées à l’herbe haute, les cultures pestilentielles où tout avait pourri sur pieds. Elles avaient pris l’habitude d’éviter les lieux témoignant d’une présence humaine, ou animale, ayant eu leur lot de mauvaises aventures les concernant. Elles avaient croisé la route d’un groupe, plus grand que le leur, leur ayant promis nourriture, sécurité, santé… Elles n’avaient trouvé que des cannibales, ayant torturé et dévoré l’un des leurs.

Marjorie se le remémorait en observant une grange, entourée d’un potager entretenu, suffisamment grand pour nourrir plusieurs dizaines de personnes.

    • On ferait mieux de faire un détour, dit-elle en rabaissant des jumelles. Il y a un groupe au niveau de la grange en face. Environ quarante personnes.

Alors que Rob’ allait répondre, un bourdonnement se fit entendre, s’amplifiant rapidement. Son origine se présenta sur leur droite en un large nuage d’insectes, volant vers l’ouest.

    • Bordel, dites-moi que vous le voyez aussi, demanda Jasmine en commençant à paniquer.

    • On le voit, répondit Rob’, tendu. Vous pensez que c’est quoi ? Des criquets ?

    • J’pense qu’on devrait parler d’aut’e chose, gémit Jasmine en se prenant la tête. Ce bruit est atroce ! se mit-elle à crier.

    • Ce n’est rien, tenta de la rassurer Marjorie. Ils ne nous ont pas vues et se moquent bien de nous. Allons nous cacher dans ce bosquet mes chéris.
      Avant d’avoir pu faire un pas, Jasmine rendit son maigre petit-déjeuner.

    • Allez, ma belle, allons nous abriter, l’encouragea Marjorie en l’aidant à marcher.

Rob’ les rejoignit pour les aider et en moins de temps qu’il en fallait pour le dire, elles étaient sous le couvert des arbres. Cependant, le bourdonnement enfla, tant le nuage d’insectes était colossal. Ça et là, des criquets se posaient un moment pour manger, se ménager… Jasmine était perdue en pleine crise de panique, assise contre le tronc d’un arbre, essayant de repousser des insectes ne s’étant pas posés sur elle. Sa panique s’accompagnait de geignements et de cris, ne parvenant pas à se calmer.

    • On est là, avec toi ! cria Marjorie à son intention, se portant à son niveau. Tu ne risques rien !

De son côté, Rob’ cherchait un moyen de se tirer de cet enfer, en vain.

    • Hey ! Par ici ! cria une inconnue. Il y a une grotte par ici !

Rob’ réfléchit rapidement et se lança aux côtés de Jasmine pour l’aider à se relever.

    • Qu’est-ce que tu fous ? s’emporta Marjorie. On peut pas lui faire confiance !

    • T’as une meilleure option ? J’suis à l’écoute, mais là on n’a pas le temps de réfléchir. Allez, on fonce !

À contrecœur, Marjorie se leva pour les suivre. Sans peine, elles parvinrent au niveau de la jeune femme qui les guida vers une petite gorge, où l’air humide sentait l’automne.

    • Allez-y, installez-vous, les invita-t-elle d’un ton légèrement bourru, sans le vouloir. J’suis Layla… Et bienvenue, j’imagine.

Le groupe s’installa dans la grotte, un peu sur ses gardes. Une fois Jasmine calmée, elles se présentèrent. Elles n’apprirent pas beaucoup de Layla, n’aimant pas parler d’elle. Son prénom venait de son père, fan d’Éric Clapton. Elle agissait rapidement, préférant la force à la parlotte. Son crâne rasé était dû au groupe qu’elle avait quitté. Les règles qu’il imposait étaient très strictes, trop pour elle. Elle avait osé refuser de les suivre, alors pour l’exemple, son crâne avait été rasé. Cela avait précipité sa fuite, après avoir pété la mâchoire du chef du groupe. Tout comme celui qu’elle venait de rencontrer, elle évitait généralement les groupes. Pourtant, elle n’avait pas hésité à leur venir en aide, trouvant un écho dans la peur de Jasmine. Aussi, elle aimait les lapins.
Elles reprirent de nouveau leur route le lendemain, accompagnées de Layla. Elle avait entendu parler d’une communauté vivant au nord, à l’orée d’une forêt canadienne et disposant de tout ce dont il fallait pour vivre. Appréciant cette chimère, elle voulait la suivre. Elle disait avec humour “Peut-être que le vert de l’herbe canadienne me plaît davantage que celui des USA”.
Pendant plusieurs jours, elles suivirent un chemin accidenté, accompagnant un cours d’eau serpentant au travers du paysage scarifié de gorges peu profondes. Fréquemment, une odeur nauséabonde les assaillait, provenant d’un cadavre charrié par l’eau ou bloqué dans celle-ci. Ce n’était pas un voyage de tout repos, mais elles étaient à l’abri des dangers.

Un jour, alors que la cicatrice terrestre se refermait, la pluie se mit à tomber, lourde et froide. Toutes enfilèrent leurs vêtements de pluie, sachant pertinemment qu’elles devraient rapidement trouver un endroit pour être au sec. Comme une réponse à leurs prières silencieuses, une grande bâtisse en bois se dressa devant elles, clairement abandonnée. Juste à côté, un champ de maïs moisissait, de nombreuses ardoises étaient percées, brisées ou manquantes, le bois constituant la maison était vermoulu par endroits. Néanmoins, elle était grande et offrait un certain confort. Un porche faisait tout le tour des lieux et était étonnement en bon état.

    • Mes princesses, voici notre palace pour cette nuit, ironisa Marjorie.

    • On ne fera pas les fines bouches, répondit Rob’, on attrapera la crève sous la pluie. Allons, tous au sec !

Pressées de ne pas se faire mouiller plus longtemps, elles hâtèrent le pas et entrèrent dans la vieille demeure, le souffle court. Aussitôt à l’intérieur, une odeur de poussière et de moisissure les agressa, charriée par un vent froid.

    • Au moins, nous serrons au sec pour dormir, soupira Layla. Ça vous chante de faire le tour du propriétaire ? Histoire de savoir si on est seules ?

    • Bonne idée ma grande, confirma Marjorie. On est jamais trop prudentes. On s’occupe de l’étage Layla ?

    • Ça roule ! Nous f’rons aussi le grenier si nous trouvons un moyen d’y grimper.

Environ une heure plus tard, le groupe se retrouva dans le salon, rassuré.

    • Bien, mis à part la colonie d’araignées qui habite les lieux, nous sommes seules, annonça Layla.

    • Ouep, et c’est rassurant, enchérit Jasmine. Vu l’heure, on va pouvoir se préparer un bon endroit pour dormir, et un bon repas.

    • Il y a tellement de poussière ici qu’il est préférable de préparer le repas dehors, grogna Rob’. Je m’en occupe, mais avec ce qu’on a, vous attendez pas à du grand luxe.

    • Ça ira de pair avec la baraque, railla Jasmine. Nan, mais vous avez vu les poupées ? J’en ai encore la chair de poule…

Il est vrai que la maison avait un charme des années 1950, et tout laissait penser qu’elle y était restée coincée, à jamais. Mobiliers et décorations étaient d’époque, tout comme la crasse qui les recouvrait. Le décalage de modernité le plus important avec ce qu’avaient connu les survivants venait des chambres. Les lits, que ce soit le meuble en lui-même ou le matelas et le linge de maison, étaient repoussants, et toutes étaient d’accord pour dormir dans leur sac de couchage. Dans une chambre du rez-de-chaussée, ayant probablement appartenu à une petite fille, trônait une vitrine poussiéreuse, au bois massif verni. À l’intérieur était visible une collection de poupées, observant les occupants de la chambre. Certaines semblaient avoir des yeux donnant l’impression de vous suivre, où que vous soyez, alors que certaines vous observaient de leurs orbites vides. Cependant, ce qui effraya le plus les filles fut une poupée manquante. Chaque étagère de la vitrine accueillait quatre poupées, à l’exception d’une d’entre elles n’en ayant que trois, laissant penser que l’une d’elles se promenait peut-être dans les parages…

Le repas avalé, elles discutèrent un peu, appréciant le confort d’un toit au-dessus de la tête, cherchant à repousser au maximum l’heure du coucher. La fatigue l’emportant, Jasmine et Marjorie s’endormirent rapidement, laissant à Layla le luxe de prendre le premier tour de garde. Elle insista et ne laissa pas le temps à Rob’ de répondre, prétextant préférer dormir dehors pour s’éclipser. Rob’ se résigna et s’allongea dans son lit de fortune, sans pour autant trouver le sommeil. Tel une saucisse sur un barbecue, il tourna et vira, mais aucune position ne faisait l’affaire. Il tenta de faire le vide, se concentrer sur sa respiration, sur la pluie. En vain.

Soudain, un cri de surprise, glaçant, suivi de son homologue de douleur, lui fit rater un battement de cœur. Il bondit de son couchage, arme au poing, hurla aux filles de se lever et traça vers l’extérieur. Il était certain d’avoir reconnu Layla, qu’il n’entendait plus, pas même pousser un simple gémissement de douleur.

En sortant, il la trouva immédiatement, couchée sur le flanc, tachée de sang. Rob’ se jeta en un instant à ses côtés, les sens en alerte.

    • Layla ! Tu m’entends ?! cria-t-il en la secouant légèrement. Ça va ?

    • Ouais t’inquiètes, grimaça-t-elle entre ses dents. C’est superficiel, j’ai bien fait de garder mon cuir…

    • Économise tes forces, essaye de rejoindre les filles à l’intérieur ! lança-t-il en se relevant pour suivre la trace sanglante laissée par ce qui l’avait attaquée. Je vais chasser cette saloperie.

    • Attends ! lança Layla en toussant. Il ne vient pas…

Mais Rob’ ne l’entendait déjà plus, ayant tourné au coin de la maison. Plus loin, la trace disparaissait sous la pluie, mais menait vers la cave. Par chance, il avait pris sa lampe torche avec lui. L’allumant, il s’enfonça dans les ténèbres sous la maison…

 

De leur côté, Marjorie et Jasmine étaient montées se réfugier dans une chambre sinistre, baignée de la lumière sélénite. Sur le sol, l’ombre de la pluie passait en silence. Marjorie alla à la fenêtre, mais fut incapable de voir quoi que ce soit. Jasmine avait froid et essayait de se réchauffer en se massant les bras, tout en marchant de long en large.

    • Tu penses que Layla va bien ? demanda-t-elle inquiète. Elle nous aurait rejointes si elle avait pu le faire…

    • Je suis certaine que tout va bien, répondit Marjorie, autant pour se rassurer que Jasmine. Je n’ai pas entendu de coup de feu ni de cri…

    • Si tu le dis… j’espère que tu as raison…

Trop tendues pour poursuivre la discussion, elles laissèrent place au silence. Autour, le vent mugissait en se faufilant dans les nombreux trous de la maison, la faisant souvent craquer. Parfois, il s’emballait et donnait l’impression que la pluie venait fouetter la maison, pareille à une bête enragée souhaitant désespérément entrer.

Ce silence les angoissait. Rob’ et Layla auraient dû revenir depuis longtemps, ou se manifester. Ce n’était pas normal et c’en était trop pour Jasmine.

    • Je vais voir pourquoi ils ne reviennent pas.

    • Non, attends ! s’écria Marjorie. Je suis d’accord avec toi, mais on ne peut pas s’élancer comme ça à leur recherche. On ne sait même pas ce qu’il se passe.

    • Justement ! s’emporta Jasmine. Nous ne pouvons pas rester sans rien faire.

Les deux femmes se turent brusquement. Dans le couloir, elles entendirent le lourd bruit d’un pas claudicant, accompagné du raclement d’un objet lourd et long. La créature à laquelle ce pas appartenait se rapprochait d’elles, le son s’amplifiant à chaque pas et laissant entendre un nouveau bruit : la plainte lancinante d’un enfant blessé. Elles se regardèrent en déglutissant avec difficultés, en silence. Aucune n’osait bouger ni faire de bruit. Pourtant, Marjorie ne put se retenir.

    • Il y a un enfant ! chuchota-t-elle. Il faut l’aider ! On ne peut pas le laisser souffrir, s’emporta-t-elle en voyant Jasmine secouer la tête.

Dans le couloir, la créature grogna et se mit à accélérer dans leur direction. En silence, Jasmine se frappa le front en faisant face à Marjorie, une grimace de colère déformant ses traits. D’un coup, la créature se déchaîna contre la porte les séparant, heureusement fermée à clé, se jetant corps et âme sur celle-ci.

Les filles firent rapidement le tour de la pièce du regard, à la recherche d’une issue. C’est Jasmine qui la trouva, sous la forme de la fenêtre et qui attira Marjorie vers celle-ci.

    • Mais… commença-t-elle.

    • Y’a pas de “mais” qui tienne, la coupa Jasmine en chuchotant, énervée. On va passer par là, et se mettre sur le porche, en espérant qu’il nous supporte.

Elle passa une jambe par la fenêtre et grimaça lorsque la pluie lui trempa la jambe. Du pied, elle testa la solidité du porche avant de faire basculer son poids dessus. Il craqua de mécontentement, mais tint bon. Elle aida Marjorie à la rejoindre une fois dehors, et elles refermèrent la fenêtre dans leur dos. D’un pas mal assuré, elles commencèrent à rejoindre le coin de la maison, non loin. La pluie tombant abondamment et étouffant les sons environnants, elles ne savaient pas si la créature les avait suivies.

Elles se figèrent soudainement en entendant un bruit de course sous leurs pieds, se dirigeant vers l’entrée. Puis le silence se refit, seulement pour être violemment déchiré par un puissant coup de feu, venant du hall d’entrée. Jasmine et Marjorie se dévisagèrent, ne sachant que faire. C’est encore une fois Jasmine qui prit l’initiative et qui passa par la fenêtre à leur droite, pour se retrouver dans une bibliothèque, sombre et poussiéreuse. Là, une bibliothèque s’était effondrée, répandant son contenu au sol en une pile de vieux livres. Jasmine entendit Marjorie la suivre dans le silence pesant qui suivait un coup de feu. En s’approchant lentement de la porte, elles entendirent un bruit de pas lent dans les escaliers. Sûre d’elle, Jasmine ouvrit la porte et appela tout bas.

    • Rob’ ? J’étais certaine que c’était toi, j’ai reconnu ton pas.

    • Elle est avec vous, la créature ? demanda-t-il de but en blanc. Et Marjo et Layla ? poursuivit-il en la voyant secouer la tête.

    • Marjo est là, mais aucune trace de Layla…

    • Je lui avais dit de vous rejoindre… répondit Rob’ gravement.

Jasmine eu un pincement au cœur en y pensant. Et si c’était elle qui avait essayé d’entrer dans la chambre ?

    • C’était toi le coup de feu ? s’enquit-elle. T’as tiré sur quoi ?

    • La créature, je la voyais d’en bas. Ça va ? demanda-t-il en les rejoignant devant les restes de la porte qui les abritait avant de sortir sur le porche. Bref, il n’y a pas le temps de discuter, sortez, il faut se tirer de là. Ce n’est pas un prédateur qui vient de l’extérieur.

    • Non, il y a un enfant ici, je dois l’aider, refusa Marjorie.

    • T’es folle, lança Rob’. S’il y avait un gamin ici, on l’aurait vu en fouillant la baraque.

    • Oui, tout comme cette créature, railla Marjorie en sortant son arme. J’y vais.

    • Pendant que vous vous disputez, je sors chercher Layla, elle est probablement restée dehors.

    • Arrête Marjo ! lança Rob’ en lui attrapant le bras, le ton montant. C’est une connerie, cette bête va nous tuer !

    • Je ne peux pas laisser un gamin crever ! pesta Marjorie en se dégageant de son étreinte. Je suis une mère et un enfant à besoin d’aide, dit-elle en s’énervant. Tu aurais laissé tes enfants dans cette situation ?!

    • Nos enfants sont morts, Marjorie, et là n’est pas la question, il faut SORTIR !

Mais Marjorie n’écoutait déjà plus, et se lançait déjà dans une large pièce de vie, où dormait une cheminée. Elle balaya sa lampe torche sur le mur du fond et s’immobilisa. Dans la lumière de sa torche, la créature grimpait lentement au mur. Bien qu’elle ait une apparence humaine, elle ne l’était pas. Elle ressemblait à s’y méprendre à un enfant, d’environ un mètre vingt, blanc pâle. Ses pieds et mains étaient en fait des pattes, ses “mains” étant constituées d’énormes griffes prenant la couleur d’un vieux tissu imbibé de sang séché. Sous sa peau, ses os roulaient à chacun de ses mouvements.

Soudainement, il s’immobilisa, et le silence se fit, seulement habité des respirations haletantes de chacun. Et lentement, dans un concert d’os qui craquent et de couinements, il fit tourner sa tête dans son dos, afin de faire face aux nouveaux venus, dévoilant son visage cauchemardesque.

Il était dépourvu de nez, seuls deux trous se trouvant à son emplacement lui servaient à sentir. Au-dessus, deux larges yeux blancs, aveugles, “regardaient” dans leur direction. Il ouvrit une large bouche, dévoilant deux rangées de crocs jaunâtres et abîmés. Le pourtour de sa bouche était lézardé de cicatrices et de la chair pendante était visible un peu partout, se blessant en mangeant.

Un hurlement puissant naquit dans sa gorge, renversant Marjorie. Un coup de feu claqua dans ses oreilles et la créature s’effondra en couinant.

    • Non ! hurla Marjorie, ne lui fait pas de mal !

    • Tais-toi et lève-toi ! ordonna Rob’ en l’aidant à se lever.

Ils détalèrent alors que la créature se releva en hurlant, et commença à les poursuivre. Ils atteignaient le bas des escaliers lorsqu’ils la virent chuter devant eux, dans un déluge de bois venant de la rambarde. Mués d’un même réflexe, ils éteignirent leur torche et ne firent plus un bruit. La créature les cherchait, se rapprochant d’eux en essayant de les sentir. Rob’ releva son arme lentement, lorsqu’un cri venu de l’extérieur les fit sursauter. C’était Layla ! pensèrent-ils en silence, alors que la créature tournait les talons pour voir d’où venait le bruit et sortir.

    • Suivons là ! pressa Rob’.

Marjorie le suivit, secouée. Voir la créature avec cet aspect enfantin était très difficile pour elle. Elle était persuadée que c’était un enfant changé en créature sauvage à cause de mauvais traitements, et elle souhaitait l’aider. Un nouveau coup de feu retentit alors qu’ils sortaient. La créature se releva de nouveau, en hurlant sur quelqu’un se trouvant dans le champ de maïs. Ils comprirent que les filles étaient dans le champ.

    • V’nez vers nous ! cria Jasmine. L’odeur de pourriture la repousse.

Elle refit feu, et Rob’ et Marjorie en profitèrent pour les rejoindre. La créature s’époumonait de douleur, s’égosillait de rage, la bave aux lèvres.

    • On fait quoi maintenant ? lança Rob’ en retrouvant Layla et Jasmine.

    • On s’tire, cracha Layla. Par le champ !

Joignant le geste à la parole, elles filèrent alors que les cris de la créature leur vrillaient toujours les tympans, courant autour du champ.

Après une nuit agitée, et très courte, elles revinrent sur leurs pas afin de récupérer leurs affaires laissées la veille.

    • Et donc Layla, tu vas continuer à nous suivre ? s’enquit Rob’ en pénétrant de nouveau dans le champ.

    • Ouep, j’ai pas d’alternatives de toute façon. J’y pense, t’as trouvé quoi derrière la baraque ?

    • Un charnier, dans la cave, répondit-il la mine sombre. Impressionnant qu’on l’ait pas senti…

    • On s’rait clairement pas restées sinon, rumina Jasmine. Et aucune trace de la bestiole…

    • Mis à part beaucoup de sang, rien…

    • Aucun état d’âme à ce qu’un machin comme ça clamse, cracha Layla.

    • Et moi mes amours, j’en ai eu assez des maisons. Elles nous ont trop fait de merdes..