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Crise de pouvoir

Il y a quelques temps, j’avais trouvé cette photo, et je m’étais un peu trituré les méninges pour savoir qu’en faire. Et voici le résultat. J’en suis satisfait, bien que j’aurai pu la sortir plus tôt. Bref.

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Certaines rencontres ont plus de poids qu’on le pense, et si un instant peu changer une vie, une rencontre aussi.

D’un geste de la main, il appela un taxi qui vint se garer devant lui. Il ne saurait dire combien il en avait vu dans les films et les séries qu’il avait regardés, et leur jaune à la fois inconnu et familier le rassura. Un poil plus sale que ce qu’il imaginait, mais rassurant. D’un geste peu assuré à cause du froid nocturne, il récupéra son sac de voyage et l’ajusta sur son épaule, sa mallette de son autre main et se glissa à l’intérieur du taxi. La douce chaleur de l’habitacle l’enveloppa alors que la porte se refermait et il soupira, à la fois heureux de quitter l’air piquant et content de se s’asseoir enfin.
 
« Bonjour monsieur, je serai votre chauffeur aujourd’hui. Je suis Nurali et je représente la société BnL. Où souhaitez-vous aller ?
 
– Ah ! Euh… balbutia le passager. À l’hôpital Dipper Falls, sur… il sortit un papier sur lequel il chercha une information, sur Oregon street, s’il vous plaît.
 
– Ça marche monsieur, on est parti ! lança le chauffeur avec entrain, en rallumant son moteur et en s’engageant sur l’avenue surchargée.
 

Tous deux gardèrent le silence un moment, profitant du calme et de la quiétude assurés par le cocon formé par le taxi, en opposition avec la vie nocturne new-yorkaise à l’extérieur, en plein mois de décembre. Mélangeant de nombreuses technologies de pointe, le taxi flottait au-dessus de la route, offrant un confort de conduite inégalable. Les vieux moteurs à essence ne faisaient plus partie que de l’histoire, de nombreuses lois et réformes les ayant chassés des routes, remplacés par l’hydrogène, le moteur à synergie [ Il s’agit en réalité d’un moteur à mouvement “perpétuel”, assuré par un jeu de poids et d’aimants rapprochés les uns des autres pour permettre d’accélérer ou de ralentir.] ou les supraconducteurs. Ces moteurs avaient eu de belles difficultés à s’installer dans certains pays, anciens leaders mondiaux, récalcitrants au changement, habitués aux moteurs à essence et dans une situation financière instable et difficile après des crises successives. Crises provoquées par l’effondrement du modèle capitaliste et de l’hégémonie des pays dits du Nord. Ces derniers furent donc obligés de se cantonner à de vieilles technologies, où de mauvaise facture, les ralentissant dans leur développement, laissant les pays ayant réussi le leur, devenir les principaux pôles technologiques et économiques mondiaux. Aujourd’hui encore, l’Europe est à la peine, minée de toute part de problèmes politiques, économiques et de soulèvement de la population.

Très lentement, à la manière d’une personne savourant une glace avec plaisir, les lumières de la ville venaient lécher le taxi, le teintant d’une myriade de couleurs bariolées, dont certaines que je ne saurai vous décrire. À l’instar de la route, les trottoirs et les magasins étaient surchargés, faisant se demander au passager comment autant de monde pouvait vouloir souffrir dans le froid.

– Vous semblez fatigué, fit remarquer le chauffeur, un problème avec votre pouvoir ?

– Hein ? Comment ça ? répondit le passager avec difficulté, visiblement arraché à ses pensées. Qu’est-ce qui vous fait penser ça ?

– Oh, désolé si je suis indiscret. Je ne voulais pas. Simplement, l’hôpital Dipper Falls est réputé pour ses recherches dans le domaine des pouvoirs, et de leur étude. Vous avez du mal a reprendre votre souffle, et vous semblez ailleurs, il est assez simple de comprendre que ça vient de là. Mais rien ne vous oblige d’en parler.

– Ce n’est rien, c’est normal de se poser des questions en voyant un type arriver dans son taxi couvert de bandages, à la façon de SilverFang.

– Oh, je l’ai déjà rencontré ! s’exclama Nurali. Sympa, mais il a une trop haute opinion de lui-même. Dommage, il serait un peu plus apprécié sinon. Désolé, j’aime bien parler et quand je commence, je ne sais plus m’arrêter. Prenez un peu d’eau et quelques sucreries pour vous aider à vous détendre. C’est compris dans la course.

À l’arrière du siège passager, une trappe s’ouvrit face au passager, laissant apparaître une petite bouteille d’eau et quelques bonbons.

– Merci, c’est gentil, mais je ne peux pas accepter… refusa poliment le passager.

– Ces commodités sont incluses dans la course, insista tout aussi poliment Nurali. Vous pouvez les emporter avec vous, et si vous préférez de l’eau pétillante, il suffit de le demander. Nous proposons également du chocolat, mais il faut s’acquitter d’un petit supplément.

Absorbé par une intense réflexion et observation de la rue, il ne répondit pas. Il se contenta de soupirer et de se laisser un peu s’affaisser dans le siège. Ses pensées étaient plus excitées que des puces, fusant dans tous les sens et ne lui laissant pas le temps de les saisir, de les comprendre. Au lieu de cela, son esprit était embrumé, ne parvenant pas à se calmer et à se fixer sur une idée. Pour s’aider un peu, il attrapa la bouteille d’eau et en but une gorgée.

– Merci, cette eau plate est amplement suffisante. Je ne suis pas fan de bonbons, mais si vous avez des noix, je suis preneur, répondit-il finalement d’une voix lasse.

– Bien sûr, confirma Nurali, laissez-moi simplement quelques secondes, histoire de ne pas provoquer d’accident. Voilà.

Et la trappe de s’ouvrir de nouveau, cette fois sur une bolinette remplie de noix décortiquées.

– Merci, remercia-t-il de nouveau, le visage baigné de la lumière rose d’un sex shop dans la rue. J’en ai besoin. Ce matin encore, j’étais en France, mais j’étais déjà une momie, plaisanta-t-il de mauvaise grâce.

– Je n’osais pas vous demander ce qui vous est arrivé, reconnu le chauffeur. Rien de grave ?

– En soi, non. Mais… hésita-t-il un instant avant de poursuivre, mais suffisamment grave pour changer une vie.

Nurali l’observa à travers le rétroviseur central, avec le respect silencieux d’un auditeur attentif.Son passager soupira de nouveau et poursuivit.

– Tout ça, le look momie c’est nouveau pour moi. J’étais en train de travailler quand c’est arrivé. Avec des amis, on a monté une boîte pour produire un outil permettant de produire très rapidement de l’eau, à partir de l’oxygène présent dans l’air et une capsule d’hydrogène. Sans que je ne sache l’expliquer, je me suis brusquement senti nauséeux et des démangeaisons m’ont parcouru de la tête au pied. Rapidement, c’était comme si je débordais d’énergie que je pouvais tout faire ! Mais au prix d’une céphalée atroce. Et tout aussi soudainement que le mal me prit, mon corps émit une puissante onde de choc, renversant tout et tout le monde autour de moi, brisant verre, vitres et écrans, cassant les meubles, tordant le métal, blessant mes amis en les projetant contre les murs… Une amie très chère est en train de se battre pour rester en vie. J’ai perdu connaissance à ce moment-là, mais les forces de l’ordre m’apprirent à l’hôpital que j’avais produit une grande quantité de chaleur, bousillant notre prototype, les résultats de nos premiers tests… Nous étions pourtant si proches du but ! Les forces de l’ordre et les secours sont arrivés rapidement, et ont d’abord pensé que j’étais un autre malade qui avait fondu un plomb et lâché son pouvoir sur des innocents, poursuivit-il après un silence transpirant de colère et de douleur. Lors de ma garde à vue, ils ont pu confirmer que je n’avais pas de pouvoirs, et heureusement, c’était inscrit à l’état civil.

L’homme se tut de nouveau et regarda par la fenêtre, essayant de contrôler les sanglots qui l’assaillaient, reniflant bruyamment.

– Cela m’a permis de sortir assez facilement, mais avec obligation de venir ici, à l’hôpital Dipper Falls, afin d’être certain que ce n’était pas un pouvoir latent qui se réveillait finalement. D’autant plus qu’il était instable et dangereux. Dans l’heure qui suivit cet événement, mon corps s’est recouvert d’excroissances osseuses, pareilles à des pics. Un pompier a manqué d’être blessé !

– Et le style momie, c’est pour quoi ? s’enquit Nurali, cherchant à dévier un peu la conversation. Votre “pouvoir” vous a blessé ?

– Même pas, répondit le passager en secouant la tête. Avant de perdre connaissance, j’ai soudainement perdu mes vêtements, ils me sont passés à travers et j’étais nu, face à une vingtaine de personnes, ce qui fit rire le chauffeur. De fait, j’ai tellement eu honte que je n’avais qu’un souhait : disparaître. Mon corps a exaucé mon vœu et m’a rendu invisible.

– D’accord, ça explique les bandages. Et le trajet vers l’hôpital. Impossible d’annuler ça ? s’enquit Nurali après un court silence.

– Je n’en ai aucune idée, mais je l’espère. Je ne souhaite pas être invisible permanemment. D’autant plus que sous cette forme, je suis incroyablement léger, un coup de vent est suffisant pour me souffler au loin.

Le silence, encore et toujours, s’installa alors que le taxi s’engouffrait dans une voie d’accès au fastLoop, un réseau de tubes à air comprimé permettant d’accéder à tout le territoire américain en moins d’une heure. Construit selon les plans d’un homme d’affaires touche-à-tout ayant eu une idée similaire, ce moyen de transport était d’une efficacité effrayante et avait été déployé de par le monde afin de supplanter l’avion. Son installation avait cependant demandé des travaux colossaux, que nombre de personnes qualifièrent de “Désastre écologique de l’Histoire”, tant sa production et son installation avaient pollué. L’idée avait été émise de calquer ce principe au transport de marchandises, mais fut immédiatement oubliée, tant le coût était important, dépassant dans des grandeurs inimaginables, celui du fastLoop pour le transport humain.

– Vous l’avez déjà emprunté ? s’enquit le chauffeur en se retournant vers son passager, qui secoua la tête en réponse. Ah, et bien il se peut que vos oreilles se bouchent à cause de la pression, ce n’est rien. Cela passe une fois sorti du FL, mais si cela vous dérange durant le trajet, essayer de souffler par le nez en vous le pinçant et en gardant la bouche fermée. Ah, regardez, le feu est vert, on peut y aller.
Ils s’engouffrèrent alors dans un tunnel, suffisamment large pour ne laisser passer qu’une voiture, baigné d’une douce lumière bleue, bioluminescente. Afin de réduire drastiquement la consommation énergétique des états, et notamment de leur éclairage, de nombreux pays avaient fait le choix de la bioluminescence, qui n’utilisait que très peu d’énergie et qui n’émettait qu’aussi peu de pollution. Deux grandes écoles s’opposaient dans ce commerce : la bioluminescence produite par certains poissons ou certaines méduses, et celle produite par des champignons.
Après quelques rapides instructions données par un opérateur à l’entrée du fastLoop, le taxi fut propulsé en avant en avant à une vitesse modérée. Au cours du trajet, je tunnel était faiblement éclairé, laissant les passagers dans une légère pénombre.

– Je comprends que ce soit compliqué, le rassura le chauffeur après un court silence, mais ne perdez pas espoir. Il y a toujours un moyen de remonter la pente. Par exemple, poursuivit-il devant la moue de son passager dans le rétroviseur, prenons le cas d’un chauffeur de taxi. Imaginons que ce dernier soit arrivé illégalement aux Etats-Unis il y a vingt ans, avec sa famille, pour fuir la guerre. L’installation se fait, un peu péniblement pour eux, le fameux nouveau rêve américain en tête. Ils enchaînaient les jobs peu payés, mais suffisamment pour permettre aux enfants d’aller à l’école. Imaginons, toujours, que la Brigade de Anti Immigrés les aient retrouvés, à cause de ces petits boulots. Continuons d’imaginer, que le chauffeur ne doive son salut que grâce à se femme, qui lui avait obtenu des faux papiers, sans l’en informer, convainquant les membres de l’immigration. Sa famille devait reprendre le bateau, vers l’Europe, mais ce n’était pas grave, ils avaient toujours moyen de revenir. C’était malheureusement sans compter sur les fanatiques de cette brigade, qui avaient prit soin de placer des explosifs dans ce bateau…

Un nouveau silence s’imposa, estomaquant. Seul le bruit du taxi avançant dans un souffle pouvait être entendu.

– C’est horrible, parvint à articuler avec difficultés le passager. Toutes mes condoléances.

– Oh, mais je n’ai pas dit que cela m’était arrivé ! Ricana Nurali. Après cela, il est rentré chez lui, sans faire de vagues. S’il en avait fait, il aurait connu le même sort. Et… il devait vivre. Pour l’ensemble des personnes qui étaient sur ce bateau, et encore plus pour sa famille. Son quotidien devrait maintenant se faire avec la douleur et l’absence, mais c’est ce qui lui permit et lui permet de garder la tête haute tous les jours, ainsi que d’aider ceux qui en avaient besoin. La vie lui avait réservé de belles surprises, voire de très belles, il ne tenait qu’à lui de continuer d’avancer.

Le taxi ralenti assez soudainement, avant de s’immobiliser totalement face à une grille surmontée d’un feu de signalisation. Nurali échangea quelques minutes avec une opératrice du fastLoop alors que le passager garda le silence. Il le partagea lorsqu’ils sortirent du tunnel et jusqu’à ce que l’hôpital soit en vue.

– Merci, dit le passager. J’avais besoin de ça, de vous entendre parler. Je suis terriblement désolé pour ce qui vous est arrivé.

– Ne vous inquiétez pas, c’est parfaitement normal de ne pas aller bien. Tout le monde a des coups de mou de temps à autre. Il faut simplement savoir continuer d’avancer. Demain est un autre jour, et il y aura toujours un demain. Non, ce sera gratuit pour vous monsieur, dit-il fermement mais poliment en voyant le passager porter la main à sa poche.

– Encore merci, répondit l’intéressé après avoir insisté longuement et rangé son portefeuilles.

L’hôpital est juste là, plaisanta le chauffeur en désignant du doigt l’immense bâtiment éclairé en pierres blanches devant lequel était écrit en grand Dipper Fall Hospital.

– Je vous remercie, je pense que je l’aurai raté sans vous, plaisanta le passager. Faites attention à vous, dit-il en sortant du véhicule chargé de ses affaires. au plaisir de vous revoir.

– Vous de même. Au plaisir.

Et aussi vite que la vie les avait mis sur la même route, ils se séparèrent, continuant d’avancer vers ce qu’elle leur avait réservé.