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Mois : septembre 2024

Bestiaire : les arachnoïdes fugaces

Faites la rencontre des arachnoïdes fugaces, une espèce de fougères, étonnante. Ce texte, commencé lors d'un atelier d'écriture, au jardin des plantes de Nantes, est une petite fenêtre ouverte vers l'évasion. 
Bonne lecture !

L’arachnoïde fugace est une plante remarquablement étrange, que vous soyez arachnophobe ou non ! J’en fis la découverte en cherchant un ami m’ayant donné rendez-vous sous un félinopéa qu’il souhaitait me montrer. Alors que j’allais presque le rejoindre, je chus lamentablement et me retrouvai devant un parterre inconnu, la face couverte de toiles d’araignée.

Ici, au milieu des arbres, près du parc troisième prince, je vis une grande quantité de fougères, bien espacées, ne dépassant pas les vingt centimètres de haut. À leurs feuilles pendaient ce que je pris pour de menues baies rouges. Quelle ne fut pas ma surprise en les voyant se déplacer ! Certaines arboraient de petites pattes, huit en tout et pour tout.

Peu après, nous revînmes avec mon ami, Emmett, et les avons observées. Nous avons déterminé sans difficulté que ces baies étaient les fruits des nombreuses fougères que nous vîmes, et non une espèce symbiotique d’araignées. Ces baies deviennent rapidement rouges, avant de progressivement se changer en araignées, conservant toutes les caractéristiques d’un fruit. Leur espérance de vie était courte, voire fugace. Pour Emmett, elles étaient timides, aucune plante ne se touchant, et les araignées ayant très peu d’interactions les unes avec les autres. Je pense simplement que cette distanciation vient d’un besoin d’espace pour tisser leurs toiles, mais je m’abstins de le mentionner.

Oh ! Pour revenir à nos baies, il nous est arrivé de les goûter. Nous n’avions pas réalisé qu’elles avaient envahi notre repas, aussi en avons-nous ingérées. Nous trouvions qu’il était particulier que notre viande ait un goût sucré, ce qui nous a alertés. Pour moi, elles ont une flaveur purement sucrée, Emmett les sent caramélisées, cela doit donc être fonction du goûteur. Leurs saveurs s’altèrent le temps faisant et elles deviennent amères lorsque les pattes poussent pour que la baie ne se promène. Aucun de nous n’a été assez courageux pour en manger une à l’âge adulte, avec les huit pattes et la tête.

Leur couleur rouge est suffisamment importante pour la signaler. Bien que très petites, ne dépassant pas le demi-centimètre, elles sont grandement visibles. Des prédateurs, entre autres. Elles gagnent à être dévorées, comportement qu’on retrouve chez certaines espèces parasitaires. De plus, lorsque la fin approche, nous les avons vues gagner des endroits en hauteur, et se mettre à se dandiner, dans une sorte de danse. C’était là très amusant de les voir gigoter ainsi !

Rapidement, nous nous sommes rendu compte qu’elles appréciaient la musique. Oui ! Mon ami Emmett est musicien et il nous fait fréquemment part de ses talents. Un jour qu’il s’ennuyait pendant que je notais moult informations concernant nos arachnides, il s’occupa en jouant du piccolo. Aussitôt, les spécimens que j’étudiai se mirent à se trémousser, plus ou moins en rythme, sans forcément chercher à rejoindre les hauteurs. Nous en avons déduit qu’elles adoraient les instruments à vent, appréciaient sans plus les percussions, mais vouaient une aversion sévère aux cordes. Alors qu’il jouait de la lyre, il subit l’attaque d’un escadron de baies, dont il avait assurément provoqué l’ire. Il reçut même une piqûre ! Nous paniquâmes un peu sur le moment, ne sachant pas si celle-ci était dangereuse. Finalement, sa salive lui parut caramélisée et il ne sut plus jouer de lyre pendant un court instant. Les arachnoïdes ne voulurent pas en rester là. C’est donc avec surprise, que nous découvrîmes la lyre enveloppée de toile le lendemain à notre réveil.

Cette toile, justement, a des propriétés assez intéressantes, bien que ce ne soit pas extraordinaire. Elle semble se comporter comme du sucre. Par un jour de fort soleil, cognant juste ce qu’il faut, nous vîmes les toiles s’affaisser, comme si elles fondaient. Elles prirent aussi un aspect translucide. Pour la science, Emmett décida de les goûter. Je sais pertinemment que ce n’est que par pure gourmandise, mais ne dis rien. Il m’a juré qu’elle lui faisait penser à un sirop de fraise concentré, et je veux bien le croire. Je me rappelle avoir trouvé ma sueur sucrée-salée le jour où je suis tombé. Je refusais néanmoins de porter les toiles à ma bouche, craignant de m’étouffer avec.

Dans nos expérimentations, nous avons essayé de les faire pousser en dehors du bosquet où nous les avons découvertes. Cela ne prit jamais, nous en avons conclu qu’elles sont endémiques uniquement de ce bois. Les conditions ne nous y paraissaient pas si exceptionnelles, mais semblaient leur seoir parfaitement. Nos essais dans le petit bois étaient tous concluants.

Je me dois de conclure, n’ayant pas appris beaucoup plus à leur sujet. Bien trop isolées dans l’écosystème, elles ne sont pas très utiles à celui-ci. C’est nonobstant ici toute la beauté de la nature. Bien qu’elle ne semble pas avoir d’utilité à faire pousser ces plantes, elle le fait, se moquant de son utilité. Elles poussent, et c’est ainsi. La nature se moque des avis et des opinions.

Pour nous, cette découverte aura été une bulle à l’écart du monde, nous permettant de souffler et d’oublier nos obligations.