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Catégorie : Nouvelles

Le gardien

Tout est parti d’une image ici, celle d’un dessin issu du comics Yojimbot, à propos de l’un de ses personnages.

Et la suite se trouve juste en dessous.

Le vent soufflait assez fortement sur la vallée et ses environs, faisant danser et chanter toute la flore, pareilles à une respiration. À leur rythme, quelques pétale et feuille s’envolaient, pour rejoindre des lieux totalement différents. Une glycine en fleur diffusait son odeur entêtante, attirant par centaines les insectes pollinisateurs comme les abeilles et les bourdons, qui s’en donnaient à cœur joie. De nombreux oiseaux chantaient, perchés sur les branches des quelques arbres qui avaient déployé leurs branchages. Un chemin naissait au milieu des collines visibles au loin, et serpentait à travers la vallée jusqu’à disparaître à des lieux d’ici, entre de nouvelles collines. Le soleil, au travers d’un ciel d’un bleu rappelant celui d’une craie, dardait ses rayons sur le pays endormi dans le calme. Quelques nuages moutonnaient en silence, souhaitant ne pas troubler la quiétude absolue.

Une cascade venait alimenter un cours d’eau, parcourant la vallée en chuchotant, répondant au vent. Il était pareil au chemin, jadis emprunté par les hommes, et accompagnait les poissons et batraciens qui l’arpentaient. Certains décidaient de s’arrêter quelque part et ne repartaient jamais.

Il y avait un point de cette vallée où les deux chemins se rencontraient tendrement, et échangeaient un mot à l’ombre des arbres. Un plan d’eau se trouvait là, ayant tout d’une marre, parsemée de nénuphars dont quelques-uns étaient en fleur, quelques libellules volant à travers les joncs, des grenouilles cherchant à les manger, ainsi que les autres insectes volant de-ci de-là. La mare se trouvait au centre d’un cercle dessiné dans l’herbe  délimité par de petites pierres de même taille, recouvertes de mousse et de racines, plantées dans le sol. Un torii[ Portail traditionnel japonais, généralement en bois, rouge,  gardant l’entrée d’un temple shintoïste] résistant aux effets du temps et de la météo, mais ayant totalement perdu sa peinture, se tenait là, enjambant une des entrées du cercle. Un peu plus loin, ce qui ressemblait à des escaliers remontait vers des ruines, presque entièrement dissimulées par la nature.
À l’intérieur du cercle, des blocs de pierre, eux aussi entièrement recouverts de mousse et de fleurs, étaient le théâtre de la danse des ombres projetées des branches dans le vent. Sur l’un des blocs, faisant face à la mare, une figure humanoïde était assise. Elle portait une longue cape de voyage, sur laquelle de jeunes pousses commençaient à émerger et  grouillant de vie. Ses épaules étaient couvertes de mousse. Elle portait un chapeau conique  en bambou tressé, accroché à son “menton”. Elle était habillée d’un kimono bleu, troué et usé, aux nuances de bleu clair et bleu nuit, rappelant La vague d’Hokusai. Dans un ciel hypothétique de ce kimono, des nuages blancs étaient représentés. Reposant contre son épaule, ce qui ressemblait à un sabre était lui aussi rattrapé par le passage du temps.
À chaque fois qu’il réussissait à traverser la frondaison protégeant le banc, le soleil venait se refléter sur sa peau métallique. Sa tête n’était en réalité qu’un cylindre métallique, rappelant une longue canette. Au centre, ovale et fissuré, un grand œil complètement jaune était éteint. En dessous, une large ligne se dessinait, rappelant une bouche, qu’il n’avait jamais ouverte pour parler.

Un oiseau, un rouge-gorge dodu, voleta de son épaule sur son chapeau ce qui fit basculer sa tête en avant, son menton reposant contre sa poitrine. Le rouge-gorge prit peur et s’envola dans un arbre juste au-dessus de lui. L’automate regardait à présent ses genoux, sur lesquels dormait un carnet, protégé du temps par un tissu sombre et ses mains.

Il savait ce qu’il y avait d’inscrit dans ce carnet, mais jamais il ne se réveillerait pour en raconter le contenu. Il avait entendu son dernier ordre il y avait bien longtemps, trop longtemps pour qu’un humain ne puisse le réveiller. Cela remontait d’ailleurs à d’autres temps, la dernière fois que quelqu’un ou quelque automate avait foulé ce chemin.
Ainsi, le garde silencieux continuait de surveiller ce lieu qui n’avait pas besoin d’être gardé, en attendant la fin de tout.   
Pourtant, venant des collines perdues au loin, une figure vint lentement jusqu’à la rencontre des deux chemins, au son d’un cliquetis métallique régulier. Il marqua une halte sous le torii et observa les lieux, cherchant dans sa mémoire s’il était déjà venu. Visiblement, c’était le cas. Et lui, sur le banc, il le connaissait. Tout comme le robot sur le banc, il était fait de métal, et ses trois yeux de tailles différentes se posèrent sur lui pendant qu’il réfléchissait.

En un fragment de seconde, il revit les événements qui avaient mené à leur rencontre et “ressentit” ce que les humains appelaient de la douleur. Ce n’était en réalité qu’un mot que ses concepteurs lui avaient appris à associer à certaines images, il ne ressentait en réalité rien. Rien que la froideur du métal qui le constituait.
Ils s’étaient rencontrés à la guerre, une des nombreuses guerres opposant deux hommes et leur ego[ Je ne le savais pas, mais l’égo s’écrit initialement sans accent]. Il se souvint des troupes métalliques et humaines se faisant face, certains à pied, d’autres sur des montures, attendant le signal pour arracher la vie, avant de se faire arracher la sienne. Il se rappela qu’ils se faisaient face alors que la poussière saturait l’air, les corps et les pièces détachées, jonchant le sol, dans le silence surréel qui succédait au chaos absolu. Leurs généraux morts, ils n’avaient plus de raisons de s’affronter, et à l’ombre de la carcasse géante d’un robot, ils s’inclinèrent l’un vers l’autre.

Dans le vent, son kimono jaune pâle, sur lequel des pétales de chrysanthème blanc tombaient en motifs réguliers, dansait au rythme du vent et en réponse aux ombres des feuilles. Bien qu’il ne soit nullement fatigué, il s’assit un moment à côté de son vieil ami, et il pouvait le dire, il ressentait de la joie et de la paix.

En observant la mare, il constata que quelque chose était étrange. Il n’y avait pas la moindre trace de vie d’un être humain, ni de robot fonctionnel, alors comment cela se faisait que ce lieu soit si bien entretenu ? Alors que la vie poursuivit son cours, aucunement troublée par sa présence sur ce banc, il fit une multitude de recherches pour comprendre. Afin d’être sûr qu’il n’y avait personne ici, il grimpa au niveau des ruines du temple, à l’endroit où il se souvenait qu’elles se trouvaient, ne restant plus que quelques blocs de pierre recouverts par la nature. Mais il ne trouva personne.
En se retournant, il avait un visuel dégagé sur la mare, le banc, la vallée. Et là encore, rien. Il aperçut un groupe de biches au loin, ruminant en silence. Le vent soufflait encore, faisant onduler les herbes hautes. Avait-il besoin de partir ? Sa soif de découvertes le poussait à voyager, encore et encore. Mais ici, ce serait un paradis de paix pour lui.

Pendant qu’il redescendait à la mare, le soleil avait commencé à se coucher, nimbant la vallée d’une flamboyante couleur orangée. Comme sortant d’un conte horrifique, les ombres s’étendaient indéfiniment.

Et en un claquement de doigts, alors qu’il patientait en observant le gardien des lieux, la nuit froide et sombre remplaça la fin de journée. Lui qui était parfaitement nyctalope, cela ne le dérangea pas. 

Soudainement, un mouvement dans le coin de son champ de vision l’arracha à ses calculs, et il se retourna, la main sur le pommeau de son sabre, en train de dégainer. Ce qu’il avait sous les yeux, il ne l’avait jamais vu. Partout, de petits êtres, pas plus gros qu’une pomme, se manifestaient. Certains étaient blancs, nimbés d’une lueur sélénite les faisant luire. D’autres étaient noirs, semblables au ciel nocturne, éclairé par une pleine lune distante. Tous étaient entièrement poilus, donnant à certains des apparences de boules de poils. Leurs formes variaient grandement, de la simple chenille à la sphère, en passant par les êtres humanoïdes à grande tête ou de drôles d’animaux à trois pattes.

Si lui était absorbé dans leur observation, eux l’ignoraient royalement, s’employant à entretenir le lieu, tassant l’herbe ou la coupant, retirant les ronces ou les autres plantes parasites, taillant des plantes, nettoyant l’eau de la marre…

De ce qu’il pouvait voir, ils n’étaient actifs qu’autour de la mare, ignorant les alentours. Il n’y comprenait rien, si ce n’est que ce n’étaient pas des ennemis, mais des sortes de gardiens.

Devait-il vraiment partir ? s’interrogeait-il de nouveau.

La réponse était évidente et s’imposa d’elle-même.

Oui, afin de découvrir d’autres lieux comme celui-ci, le laissant perplexe. Et il le savait, ici son ami était entre de bonnes mains, il ne risquait rien.
Ainsi, au petit matin, après avoir observé ces petits êtres s’affairer, il reprit sa route vers sa soif de curiosité. 

Bestiaire : Ophiocordyceps Latéralis

Les champignons…

Quels …

Quoi ? Que sont les champignons ?

De grands experts et spécialistes se sont essayés à répondre à cette question, ce qui me fascine et continuera de le faire pour un long moment. Cette capacité à chercher des réponses, en considérant que les théories et réponses existantes sont erronées, est stupéfiante. D’autant plus lorsque les réponses trouvées sont en tout point identiques à celles existantes et donc erronées (selon le postulat de base). Je ne suis pas là pour donner la mienne, parce qu’elle n’a aucun intérêt ! Mais il est cependant utile de parler un peu des champignons avant de parler de la créature qui capte notre attention.

Ni plante ni animal, les champignons sont une catégorie du vivant à part entière, ce qui est fantastique. Beaucoup d’autres catégories du vivant ont eu besoin de se rassembler pour être pleinement représentées. En réalité, ce serait oublier la quantité hallucinante d’espèces de champignons qui existent, possédant toutes des caractéristiques aussi variées. Il faudrait prendre le temps de faire un papier à part les concernant, mais il est simple de parler des espèces les plus répandues comme les bolets, les chanterelles, les cèpes, les calocères, les clavaires, les amanites, les hygrophores ou les truffes par exemple. Je l’avoue, je trouve les noms des champignons originaux et amusants à dire ou écrire.

Ils sont essentiellement composés d’eau, nous dépassant dans le chiffre des 65%. Ils sont absolument partout, ayant investi tous les lieux du vivant : l’air, la terre, l’eau (douce ou salée). Certains des experts dont on abordait le travail un peu plus tôt, estiment que leur existence remonte à très loin dans le temps, bien avant le temps des hommes, ou même des dinosaures ! Et toujours selon eux, ils auraient joué un rôle capital dans l’évolution de la flore, l’aidant notamment à se diriger hors de l’eau !

Ici, nous n’aborderons pas les champignons qui peuvent malheureusement peupler les corps humains, attaquer les habitations ou produire du fromage, fort savoureux. Non, nous ne parlerons que de ce qui peuple les bois et forêts de notre beau monde. Les experts n’ont pas fini de les dénombrer, je ne vous offrirais donc pas de nombre, préférant ne pas vous donner une fausse information. Ce que je sais en revanche, c’est que le plus grand ferait un peu plus de quarante hectares ! Un véritable mastodonte qui pèserait la bagatelle de quatre cent tonnes ! Ahurissant ! Tout simplement… Comment est-ce possible ? Le champignon n’est pas seulement la partie visible, à savoir le sporophore. Ce dernier n’est que l’appareil reproducteur du champignon, étant par ce biais qu’il émet des spores. Non, le champignon est en réalité bien plus grand et se trouve sous terre, légèrement sous la surface. Le mycélium est un long filament, généralement blanc, et c’est cela qui couvre quarante hectares pour notre champion. Quelques variétés sont comestibles et la faune ne se fait pas prier pour les déguster goulûment, s’en servant aussi parfois comme d’un lieu d’habitation. Les champignons sont aussi très utiles pour la nature, décomposant les bois, morts ou non.

Je ne pourrai pas prendre le temps de détailler toutes leurs utilisations, mais je souhaite en aborder certaines, absolument ingénieuses et stupéfiantes. Des apothicaires s’en servent pour soigner des malades et blessés, ou pour atténuer leurs douleurs ; des shamans en font la même utilisation, ce à quoi j’émettrais quelques réticences, connaissant également comment ils en utilisent pour entrer en transe et communiquer avec les esprits ; des guerriers de contrées bien au nord, se transmettent des connaissances à propos de champignons aux propriétés fascinantes, et tout autant terrifiantes, leur assurant par exemple de ne plus ressentir la douleur, de démultiplier leur force, de les priver de la peur, au prix d’effets secondaires souvent graves pouvant conduire à la mort. D’autres, et celui qui nous intéresse en fait partie, ont des caractéristiques impressionnantes, notamment parasitaires.

Ce qui m’amène à ma rencontre avec l’une des créatures vivantes les plus terrifiantes que je n’ai jamais rencontrées. Et croyez-moi, j’en ai rencontrées quelques-unes des créatures effrayantes ! Celle-ci se place loin devant toutes les autres, provoquant un sentiment d’horreur absolue, bien supérieur à celui des Sancrelunes bicéphales, des purulorentules, des harpies de sel, des sans-visages des trois plaines et des chatons. Ces derniers sont clairement les plus terrifiants, et s’ils n’étaient pas handicapés par leur taille réduite, il ne fait aucun doute qu’ils auraient déjà asservi notre population ! Je vous toucherai un mot ou deux sur ces créatures, mais je ne dois pas m’étaler à leur sujet pour le moment. Non, sinon finir cet écrit et le lire en entier serait une tache inhumaine.

Cela remonte au cinq du mois de Brumidor, de l’an… cela n’a pas d’intérêt de le savoir. J’étais en chemin pour étudier des sans-visages qui avaient été observés dans les régions nordiques surplombant le Grand continent. Ces créatures n’étaient absolument pas endémiques de ces régions, il était donc capital de savoir ce qu’elles faisaient ici. Et ce, que ce fût par accident, ou qu’il s’agisse des premiers spécimens observés et observables d’une espèce inconnue. Cela était grandement excitant ! Je n’avais pour ainsi dire, jamais étudié de nouvelles espèces, alors j’étais impatient de me lancer dans leur étude ! La nouvelle de cette découverte me parvint alors que je devais prendre la parole au forum sur les créatures aquatiques des trois vallées. Je l’ai quitté en urgence, afin de me rendre dans l’immédiat auprès des experts observant les sans-visages. Je n’ai rien raté d’intéressant, ces crétins de soi-disant experts du forum discutaient (et avec vigueur en plus !) de la classification du dragon bulle. Une perte de temps.

En raison de sa position géographique, je disposais de deux possibilités pour rejoindre mon objectif : soit emprunter la route commerciale qui relie les trois grands royaumes de l’ouest aux régions du nord, soit couper à travers le Grand continent et de traverser la forêt des cendres, les gorges de souffre et la toundra du clan Cesvi. L’une est relativement sûre, les gardes de chacun des royaumes qu’elle traverse l’arpentant, mais a l’inconvénient de demander trois mois de voyage à cheval ou en calèche. L’autre, bien moins sûre, n’en demande qu’un… C’est alors que, dans la fougue de ma jeunesse idiote, je m’élançais à travers le Grand continent. Les détails de mon voyage ne sont pas des plus palpitants, aussi je vous en épargne. Après trois longs jours de marche, j’atteignais l’orée de la forêt, couverte des cendres qui lui donnaient son nom. A cause d’une pluie récente, l’air était chargé d’une odeur humide et pâteuse, accompagnée des relents âcres et secs des cendres. Aujourd’hui encore, personne ne sait pour quelles raisons toutes ces cendres viennent se déposer ici. Une hypothèse qui est pour moi la plus pertinente, et la mienne, est de tenir compte de la baie brumeuse, plongée comme éternellement dans le brouillard. Je suis à peu près certain qu’un volcan sous-marin s’y trouve et qu’avec le temps, il s’est mis à dépasser de l’eau. Ce dernier projetterait ses cendres en l’air et le brouillard les cacherait. Elles s’accrocheraient aux nuages passant par-là, et arrivant au-dessus de la forêt, une chute de pression les y ferait tomber. Mais mes connaissances sont essentiellement concentrées sur les créatures du vivant, je suis bien plus limité concernant la mécanique et la physique qui le régit.

Mais revenons à nos bouftons. Je suis ensuite entré dans la forêt à la suite d’une observation curieuse de son orée. C’était la première fois que je m’y aventurais, et je fus fortement déstabilisé par les premiers pas que j’y ai marchés. J’avais la sensation d’être coupé du monde, ou d’avoir voyagé dans un tout nouveau. L’air semblait saturé de cendres, les empêchant de tomber au sol à une vitesse normale, on aurait dit qu’elles ne souhaitaient pas rejoindre le tapis de poudreuse par terre. Évidemment, les arbres et arbustes y étaient très grands, car, bien que les cendres obscurcissent les lieux, une douce lumière fade filtrait jusqu’au sol. Plus on s’enfonçait au sein des bois, moins la lumière solaire parvenait à se frayer un chemin jusqu’au sol.

J’ai passé deux longues semaines dans ces bois, à suivre l’un des chemins qui y serpentaient. Et pour y avoir vécu un épisode pluvieux, je peux vous garantir que ces cendres sont un enfer une fois détrempées ! Pires que de la boue, elles collent et salissent tout ce qui entre en contact avec elles ! Je n’y avais pas fait attention en entrant dans cette forêt, mais une ligne de démarcation de la crasse était visible sur le tronc des arbres eux-mêmes ! Ce lieu est hautement intéressant, notamment pour les biologistes. Il existe justement plusieurs bivouacs les regroupant autour et à l’intérieur des bois. Deux d’entre eux sont animés par une petite bisbille, liée à la paternité d’une découverte, mais rien qui pourrait nous chaloir. Ce dont je souhaite vous parler a eu lieu après avoir quitté le camp des erpétologistes, qui se sont installés dans une zone de la forêt où les reptiles en tout genre existent en très grande quantité. On y trouve d’ailleurs de fascinants spécimens exclusivement endémiques à la forêt des cendres, dont la salamandre braisée, qui se cache dans les cendres pour chasser et qui est capable de cracher du feu ! Elle ne doit sa classification en tant que salamandre qu’à cause de sa taille et de son crachat de flammes, trop impuissant.

Désolé, je digresse de nouveau… Je venais donc de quitter ce fameux camp lorsque j’entendis un bruit très proche du cri animal, mais tout aussi proche du râle de douleur. Comprenez bien qu’il s’agit d’une forêt dans laquelle de nombreux animaux provenant d’aussi nombreuses espèces habitent, prédateurs comme proies, il est donc plus que normal d’y entendre des cris de douleur. Et ce cri me fit sourciller, puisqu’il ne s’agissait pas du cri de douleur d’une créature blessée ou en train de se faire dévorer. Et bien que j’eusse perdu mes sourcils après ma rencontre avec une créature capable de cracher du feu ! Je ne parvenais pas à déterminer la source de ce cri, et cette pensée m’obnubila la journée durant, jusqu’à ce que j’installe mon camp pour la nuit, entre deux gros arbres massifs.

Et là encore, il m’accompagna dans chacune de mes tâches. L’agacement qu’il provoquait se mua progressivement en inquiétude alors que je m’installais pour dormir. Ce n’était pas normal qu’il perdure malgré la tombée du voile sombre. J’étais cependant bien impuissant face à ce bruit, que je ne savais qualifier. Un prédateur aurait été silencieux, pareil à la mort, me suis-je alors dit, cela ne pouvait donc pas en être un.

Je n’eus cependant pas à attendre très longtemps pour que cette pauvre bête ne se montre. D’abord simple trait sombre se dessinant au loin, difforme, ne représentant aucune créature que j’avais eu la chance de croiser de ma vie. Et j’en ai vu des créatures ! Un paquet même !

Alors qu’elle approchait, son faible cri plaintif la précédait, et chacun de ses pas me laissait apercevoir un détail de plus. C’était une créature au poil gris, de la taille d’un renard, adulte… Je ne pus dire tout de suite si c’était un renard cendré ou non, les espèces vivant dans cette forêt étant très difficiles à identifier. Ce que je pus voir cependant, c’est qu’il souffrait. Horriblement. Et diable ! Que j’étais terrifié ! Plus que je ne l’avais jamais été.

Cette pauvre bête n’attendait plus que la visite de la faucheuse. Plusieurs stipes[1] se terminant par des petits réservoirs percés, desquels s’échappaient des spores, sortaient de son corps, dont ses yeux. Cet infortuné renard n’était pas mort lors de la pousse de ces appendices, en témoignaient les cicatrices qu’il s’était fait en cherchant à les retirer, certaines suffisamment profondes pour laisser apparaître sa boite crânienne. Plusieurs os de son corps rachitique étaient visibles d’ailleurs, que ce soit sa cage thoracique, ses pattes et sa colonne vertébrale.

C’était pour moi une véritable torture que de le regarder ainsi, mais je n’avais pas le temps de me lamenter sur son sort ! Loin de là ! Je ne l’ai pas présenté, cela étant trivial pour moi, mais ce renard était infecté par un champignon très rare (heureusement) : Ophiocordyceps lateralis. Ces derniers n’infectent généralement que des insectes, notamment certaines espèces de fourmis ou d’araignées. Il ne s’agit normalement que d’un hôte temporaire, puisque l’objectif est d’infecter des oiseaux. C’est en effet dans leur corps qu’ils arrivent à y développer leurs spores. Les volatiles en question viennent manger les insectes infectés, ce qui les infecte à leur tour. Le fungus fait d’ailleurs preuve d’une grande ingéniosité pour faire en sorte que sa consommation ait lieu. Il fait grimper l’insecte infecté en haut d’un arbre ou d’un arbuste où il s’accrochera à une feuille. Il recouvrira alors le corps de son hôte de mycélium aux teintes jaune ou rouge vives, afin de bien être visible. Il arrive dans de très rares cas que le fungus se retrouve dans l’organisme d’un hôte plus gros qu’un oiseau, comme des mammifères de petite taille. Vous l’aurez compris, que l’hôte ici soit un renard fut problématique, et je saisis que j’avais affaire à un spécimen exceptionnellement puissant d’Ophiocordyceps lateralis.

Je devais donc l’éliminer. La survie de la forêt reposait là-dessus. Problème, et de taille : la malheureuse bête m’avait repéré et me bondit dessus avec une vitesse et une agilité que je ne lui aurais jamais soupçonné. Je fus alors arraché de mon lit de fortune, dans lequel il se bloqua. C’est purement cette intervention de la chance qui me permet actuellement d’écrire ces mots. Ces malheureuses bêtes sont pareilles à des zombies et ne fonctionnent plus que comme des insectes, à savoir en réponse à de simples stimuli comme la présence d’une proie potentielle, la présence d’un danger, la présence d’un congénère du sexe opposé… J’étais ici une proie et un hôte potentiel pour l’Ophiocordyceps lateralis. Agissant dans la précipitation, j’attrapai une couverture avec laquelle je calais mon sac dans mon dos lors de la marche, et enveloppai ma cible avec. Je pouvais entendre ses jappements de douleur et de colère alors qu’il se débattait comme un diable, ainsi que les stipes sur son corps se briser alors que j’écrasais cette masse de couvertures grouillante. Vous le comprenez aisément à présent, mais je ne voyage jamais seul. Le danger m’accompagne dans chacune de mes aventures, peu importe quel sol je foule. Alors j’ai toujours avec moi de quoi me défendre. Une petite dague ouvragée avec patience et talent, ornée d’une myriade de gravures que mes piètres capacités de description ne peuvent et ne pourront jamais décrire correctement. Et un gourdin rudimentaire, fait pour frapper et assommer. Il était hors de question de le battre à l’aide de ce dernier jusqu’à ce qu’il perde la vie. Non, il souffrait déjà assez, inutile d’en rajouter. D’un geste mal assuré, je tâtai la couverture pour trouver son poitrail et son cœur, afin d’y glisser la pointe de ma dague. Ce ne fut pas simple, et j’eus peur de devoir ouvrir la couverture pour trouver à l’aide de mes yeux. Finalement, après bien des essais et de longues heures à craindre pour ma vie, j’y suis parvenu. Je ne pouvais cependant pas laisser cette bombe à retardement au milieu de cet environnement si riche en vie ! Je brûlai donc son corps encore enveloppé de la couverture, infectée par les spores du fungus.

Trop bien éveillé pour ensuite retrouver le sommeil, je me suis aventuré jusqu’au bivouac flambant, celui situé le plus au centre de la forêt, où elle est si dense qu’il est obligatoire de laisser des feux allumés en permanence. Là, je leur ai raconté mon aventure, qu’ils eurent bien des difficultés à croire ! Je les comprends, c’est bien la seule fois qu’on entendait pareille histoire. Et je vous le dis en ayant feuilleté de nombreux ouvrages en discutant, et en ayant conversé avec de nombreux spécialistes du sujet, me prenant pour un fou, ou un illuminé cherchant un moment de gloire parce qu’il a été le premier à assister à quelques évènements invraisemblables.

Peut-être que cela vous intéresse, mais je suis bien parvenu à ma destination, finalement. J’ai pu observer les premiers spécimens d’une nouvelle espèce, ce qui m’a valu de connaître un certain intérêt de mes pairs, pendant quelque temps. J’en étais bien content à l’époque ! Avec le recul, cela m’a desservi, étant invité par mont et par vaux pour participer à des colloques plus inutiles les uns que les autres… La célébrité a toujours un revers, loin d’être plaisant.

Je ne vais pas vous abreuver éternellement de mes histoires, je conçois qu’elles vous désintéressent quelque peu. Je vous recommanderai seulement d’être prudent avec les fungus, et de les détruire par le feu si d’ordinaire vous ne croisiez leur chemin. Ils ont une grande capacité de résistance, et un simple nettoyage au savon est inefficace. Cela serait même une forme de suicide, puisque vous seriez dans l’obligation de manipuler le parasite pour le nettoyer.

Finalement, et je vous laisserai sur ces mots, gardez bien à l’esprit que les champignons, quels qu’ils soient, peuvent être considérablement utiles, voire vitaux, mais qu’ils sont à manipuler avec une extrême prudence, pouvant devenir mortels pour celles et ceux ne les connaissant pas suffisamment.

 

 

 

[1] Organe du champignon supportant le chapeau, aussi appelé « le pied »

Alors, comment était la lecture ? J’espère qu’elle vous a plus. J’ai mis un peu de temps pour l’écrire et la corrigée, mais je suis à peu près certain d’avoir laissé passer quelques choses. Rien de grave (si vous en voyez, n’hésitez pas à les signaler, je les corrigerais ! ).

Dans tous les k, j’ai aimé l’écrire, les champignons étant un domaines intrigant. Pour information, ce genre de champignon parasitaire existe. L’ophiocordyceps unilatéralis est l’un d’entre eux et n’infecte que des insectes, les fourmis et araignées il me semble. Il en existe d’autres, infectant également les escargots, par exemple. Cette vidéo vous montre le phénomène https://www.youtube.com/watch?v=DC_NMn8xqKQ

Merci encore pour votre lecture, et si vous avez apprécié, n’hésitez par à partager ceci, ça m’aide beaucoup !

Miss Howard

Son guide l’invita poliment à entrer dans une petite pièce aux allures de salle d’interrogatoire, comme celles des séries policières. La décoration maigre et l’éclairage faible l’a déçue. Tout cela différait complètement avec la réputation de la maîtresse des lieux (ou maître des lieux, personne ne le savait), Miss Howard, une collectionneuse de renom.  Son contact lui avait donné rendez-vous dans un bar miteux, aux banquettes au cuir passé et au bois collant. Là, il l’avait conduite jusqu’à un immense complexe de hangars, entourés de parking habité seulement d’utilitaires blancs dont la peinture s’en allait. Elle avait ensuite été guidée Jusqu’à la salle d’interrogatoire, comme elle aimait à l’appeler, dans l’un de ces hangars, à travers de longs couloirs froids en béton, seulement éclairés par des néons encastrés dans le sol, le long des murs.

A la façon des couloirs, la déco y était inexistante, et seul le béton gris des murs les habillait. L’éclairage était assuré par un simple plafonnier en forme de soucoupe volante, dont le fil commençait à sérieusement se dénuder.  La lumière qu’il déversait était jaune. Au centre de la pièce, deux chaises d’école ayant bien vécu encadraient une grosse bobine de chantier faisant office de table. Un des murs était ouvert d’une large vitre sans tain, d’où elle le savait, elle était observée. Enfin, pour finaliser l’impression de prison du lieu, une caméra placée à la va-vite dans un coin, ne ratait pas une seconde de ce qui se déroulait.

Tout cela fit naître en elle un doute, plus conséquent que tout ce qu’elle avait éprouvé. Toute cette austérité lui donnait l’impression d’être arrivée en prison, et envie de changer sa définition de l’austérité. Où était le faste et le luxe vantés par Miss Howard et ses fans ? Elle eut à peine le temps de réfléchir à partir, que la porte qui l’avait menée ici s’ouvrit. 

– Bonjour Tempérance ! la salua poliment d’un large sourire une jeune femme brune. Merci d’être venue, installa-toi, l’invita-t-elle en désignant une des chaises de classe et en s’asseyant sur l’autre. 

Tempérance resta cois face à l’arrivée de son vis-à-vis. Aujourd’hui encore elle ne pouvait l’expliquer, mais son cerveau avait cessé de fonctionner. Elle se sentait désarçonnée par un flot de questions qu’elle souhaitait poser, et la nouvelle venue la bloquait dans ce cheminement, sans raison particulière. 

– Tout va bien ? s’enquit cette dernière. Installez-vous, cela vous aidera à vous détendre. 

– Mais… Je… parvint à articuler Tempérance.

Elle reprenait progressivement pieds, lui permettant de se calmer. Elle observa un instant la jeune femme en face d’elle avant de finalement s’asseoir, maladroitement.

– Pour quelle raison m’avez-vous faite venir jusqu’ici ? Lors de …

– Veuillez-me suivre s’il vous plait, la coupa la jeune femme en se levant rapidement et souplement. Nous avons tout préparé. Par ici, continua-t-elle en se plaçant devant la porte, maintenant ouverte.

Tempérance se retourna pour sonder le visage de son guide, cherchant à savoir si elle se moquait d’elle. Préférant ne pas se poser davantage de questions, elle se leva et la suivie. Peu de temps après, et quelques couloirs de bétons plus tard, elles pénétrèrent dans une grande verrière de style Eiffel blanche, dans laquelle d’innombrables papillons voletaient. Le lieu avait été pensé comme un jardin, abritant des centaines de plantes de toutes sortes, le tout étant bien agencé et entretenu. Un chemin en gravillons blanc traversait la pièce jusqu’à former un cercle en son centre, où une table en fer blanche attendait, accompagnée de deux chaises. Une cloche en fer recouvrait un plateau, lui aussi de fer, et dissimulait son contenu. 

Alors que sa guide l’accompagnait jusqu’à la table et la chaise sur laquelle, elle l’avait compris, elle devait s’asseoir, Tempérance remarqua la présence de tout un tas d’éléments à même la terre, au milieu des plantes. Un long frisson la parcourue, la laissant avec une sueur froide. Il était assez simple de voir que la terre était jonchée de déchets organiques, allant de simples déchets alimentaires comme des pluches de fruits ou légumes, jusqu’à des cadavres d’animaux.

Tempérance eu soudainement très chaud et son cœur s’emballa. Où est-ce que je suis putain de tombée ?! jura-t-elle intérieurement. Elle n’eut cependant pas à y réfléchir, une nouvelle personne venant de s’asseoir en face d’elle.

 – Bonjour Tempérance ! Merci d’avoir fait le déplacement. Vous pouvez m’appeler Trésor, et je représente Miss Howard, la célèbre propriétaire des lieux. Si nous faisons appel à vos services, c’est afin de nous aider avec ce qui est dissimulé par cette cloche, dit-elle en la tapotant avec l’index. Mon employeur a été vraiment impressionnée par la façon dont vous avez su retrouver des artéfacts que la rumeur disait perdus à jamais. Vous l’aurez compris, vous allez devoir recommencer pour nous.

 –   Excusez-moi, l’interrompit Tempérance d’une voix rauque, mais auriez-vous de l’eau ? J’ai la gorge sèche.

Trésor la dévisagea un instant, un sourire pincé sur ses lèvres, Tempérance y lisant parfaitement une colère froide et viscérale mal cachée.

 – Évidemment, répondit Trésor, avec cette fois, une totale maîtrise de ses émotions. Pouvez-vous nous en ramener ?  S’enquit-elle auprès des serviteurs en retrait, autour de la table.

 – Désolée de vous avoir interrompue, s’excusa Tempérance alors qu’un homme quittait la pièce à la recherche d’eau. Je ne voulais pas …

 – Ce n’est rien, la coupa Trésor. Vous avez bien fait et c’est pour moi une parfaite transition. Vous pourrez faire appel à nos services à n’importe quel moment, et où que vous soyez.  Nous vous fournirons tout ce dont vous aurez besoin pour mener à bien votre recherche, que ce soient des moyens financiers, matériels ou humains. En ce sens, nous avons réalisé un virement de vingt mille euros sur un compte ouvert à votre nom, dans une petite banque discrète domiciliée à Jersey.

Un serviteur choisi ce moment pour revenir avec un élégant plateau en métal, fruit du travail précis et attentionné d’un artisan sculpteur. Dessus se trouvaient une carafe et deux verres en cristal, aussi issus d’un travail de précision. Tempérance accueillit ce verre d’eau avec joie. Elle était en nage, résultat combiné de la chaleur qui régnait dans la verrière et de la panique qui montait en elle. Ajoutées aux cadavres d’animaux, la pression qu’elle subissait ainsi que les activités bancaires illicites dans lesquelles elle trempait maintenant, la terrifiaient. Elle porta le verre à ses lèvres pour essayer de reprendre pieds. 

 – Passons à l’objet de votre recherche, voulez-vous… poursuivit Trésor, en soulevant la cloche.

En dessous, dans le plateau d’argent, reposaient un joli verre vide soufflé avec soins, une coupelle en faïence remplie d’un citron à moitié pelé accompagné de quelques rondelles d’un autre citron et de petits bouquets de plantes que Tempérance ne reconnaissait pas. Sur l’une d’elle, un joli papillon majoritairement doré avec des notes de rouge et de noir, cherchait à la butiner.

 – Vous devrez chercher un tableau, celui représenté ici, continua Trésor en montrant le plateau de la main. Il s’agit de la nature morte au citron pelé et au verre taillé, de Maria Margaretha van Os, anciennement exposé à la Haye. Nous savons que l’exemplaire exposé est une reproduction, et que les conservateurs sont formels quant à la disparition de l’original. Vous partirez dès demain pour La Haye afin d’en apprendre davantage. Rapportez-nous ce tableau, et vous serez payée en conséquence.

 – De combien de temps est-ce que je dispose ?

 – Ce n’est pas une question de temps, répondit sèchement Trésor en se levant. Artéfact vous donnera tous les détails que vous devez connaître, dit-elle en désignant un colosse à sa droite. Ce fut un plaisir de vous rencontrer Tempérance, J’espère vous revoir rapidement.

 – Par ici je vous prie, l’invita poliment Artefact.

Désarçonnée par cette entrevue aussi rapide qu’impressionnante, et ayant à peine pu boire, elle resta assise quelques secondes. D’un geste mal assuré elle but son verre et suivi Artéfact hors de la verrière. Durant tout son trajet vers un petit salon entièrement gris, sentant le renfermé, elle se demanda où elle était arrivée et comment elle pourrait se sortir de ce guêpier.

 

 

 

Merci pour votre lecture ! Celle-ci fait suite à un atelier d’écriture que j’ai eu la chance de faire à Nantes. L’un des exercices consistait à choisir une œuvre d’art et à imaginer une histoire à partir de celle-ci, ce que j’ai refait ici. Si vous voulez savoir laquelle, il s’agit d’une nature morte : la nature morte au citron pelé et au verre taillé, de Maria Margaretha van Os https://www.rijksmuseum.nl/en/collection/SK-A-1107

J’espère que cette lecture vous aura plus, et je vous donne rendez-vous prochainement, pour quelque chose de plus long !