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Auteur/autrice : nabispace

Le gardien

Tout est parti d’une image ici, celle d’un dessin issu du comics Yojimbot, à propos de l’un de ses personnages.

Et la suite se trouve juste en dessous.

Le vent soufflait assez fortement sur la vallée et ses environs, faisant danser et chanter toute la flore, pareilles à une respiration. À leur rythme, quelques pétale et feuille s’envolaient, pour rejoindre des lieux totalement différents. Une glycine en fleur diffusait son odeur entêtante, attirant par centaines les insectes pollinisateurs comme les abeilles et les bourdons, qui s’en donnaient à cœur joie. De nombreux oiseaux chantaient, perchés sur les branches des quelques arbres qui avaient déployé leurs branchages. Un chemin naissait au milieu des collines visibles au loin, et serpentait à travers la vallée jusqu’à disparaître à des lieux d’ici, entre de nouvelles collines. Le soleil, au travers d’un ciel d’un bleu rappelant celui d’une craie, dardait ses rayons sur le pays endormi dans le calme. Quelques nuages moutonnaient en silence, souhaitant ne pas troubler la quiétude absolue.

Une cascade venait alimenter un cours d’eau, parcourant la vallée en chuchotant, répondant au vent. Il était pareil au chemin, jadis emprunté par les hommes, et accompagnait les poissons et batraciens qui l’arpentaient. Certains décidaient de s’arrêter quelque part et ne repartaient jamais.

Il y avait un point de cette vallée où les deux chemins se rencontraient tendrement, et échangeaient un mot à l’ombre des arbres. Un plan d’eau se trouvait là, ayant tout d’une marre, parsemée de nénuphars dont quelques-uns étaient en fleur, quelques libellules volant à travers les joncs, des grenouilles cherchant à les manger, ainsi que les autres insectes volant de-ci de-là. La mare se trouvait au centre d’un cercle dessiné dans l’herbe  délimité par de petites pierres de même taille, recouvertes de mousse et de racines, plantées dans le sol. Un torii[ Portail traditionnel japonais, généralement en bois, rouge,  gardant l’entrée d’un temple shintoïste] résistant aux effets du temps et de la météo, mais ayant totalement perdu sa peinture, se tenait là, enjambant une des entrées du cercle. Un peu plus loin, ce qui ressemblait à des escaliers remontait vers des ruines, presque entièrement dissimulées par la nature.
À l’intérieur du cercle, des blocs de pierre, eux aussi entièrement recouverts de mousse et de fleurs, étaient le théâtre de la danse des ombres projetées des branches dans le vent. Sur l’un des blocs, faisant face à la mare, une figure humanoïde était assise. Elle portait une longue cape de voyage, sur laquelle de jeunes pousses commençaient à émerger et  grouillant de vie. Ses épaules étaient couvertes de mousse. Elle portait un chapeau conique  en bambou tressé, accroché à son “menton”. Elle était habillée d’un kimono bleu, troué et usé, aux nuances de bleu clair et bleu nuit, rappelant La vague d’Hokusai. Dans un ciel hypothétique de ce kimono, des nuages blancs étaient représentés. Reposant contre son épaule, ce qui ressemblait à un sabre était lui aussi rattrapé par le passage du temps.
À chaque fois qu’il réussissait à traverser la frondaison protégeant le banc, le soleil venait se refléter sur sa peau métallique. Sa tête n’était en réalité qu’un cylindre métallique, rappelant une longue canette. Au centre, ovale et fissuré, un grand œil complètement jaune était éteint. En dessous, une large ligne se dessinait, rappelant une bouche, qu’il n’avait jamais ouverte pour parler.

Un oiseau, un rouge-gorge dodu, voleta de son épaule sur son chapeau ce qui fit basculer sa tête en avant, son menton reposant contre sa poitrine. Le rouge-gorge prit peur et s’envola dans un arbre juste au-dessus de lui. L’automate regardait à présent ses genoux, sur lesquels dormait un carnet, protégé du temps par un tissu sombre et ses mains.

Il savait ce qu’il y avait d’inscrit dans ce carnet, mais jamais il ne se réveillerait pour en raconter le contenu. Il avait entendu son dernier ordre il y avait bien longtemps, trop longtemps pour qu’un humain ne puisse le réveiller. Cela remontait d’ailleurs à d’autres temps, la dernière fois que quelqu’un ou quelque automate avait foulé ce chemin.
Ainsi, le garde silencieux continuait de surveiller ce lieu qui n’avait pas besoin d’être gardé, en attendant la fin de tout.   
Pourtant, venant des collines perdues au loin, une figure vint lentement jusqu’à la rencontre des deux chemins, au son d’un cliquetis métallique régulier. Il marqua une halte sous le torii et observa les lieux, cherchant dans sa mémoire s’il était déjà venu. Visiblement, c’était le cas. Et lui, sur le banc, il le connaissait. Tout comme le robot sur le banc, il était fait de métal, et ses trois yeux de tailles différentes se posèrent sur lui pendant qu’il réfléchissait.

En un fragment de seconde, il revit les événements qui avaient mené à leur rencontre et “ressentit” ce que les humains appelaient de la douleur. Ce n’était en réalité qu’un mot que ses concepteurs lui avaient appris à associer à certaines images, il ne ressentait en réalité rien. Rien que la froideur du métal qui le constituait.
Ils s’étaient rencontrés à la guerre, une des nombreuses guerres opposant deux hommes et leur ego[ Je ne le savais pas, mais l’égo s’écrit initialement sans accent]. Il se souvint des troupes métalliques et humaines se faisant face, certains à pied, d’autres sur des montures, attendant le signal pour arracher la vie, avant de se faire arracher la sienne. Il se rappela qu’ils se faisaient face alors que la poussière saturait l’air, les corps et les pièces détachées, jonchant le sol, dans le silence surréel qui succédait au chaos absolu. Leurs généraux morts, ils n’avaient plus de raisons de s’affronter, et à l’ombre de la carcasse géante d’un robot, ils s’inclinèrent l’un vers l’autre.

Dans le vent, son kimono jaune pâle, sur lequel des pétales de chrysanthème blanc tombaient en motifs réguliers, dansait au rythme du vent et en réponse aux ombres des feuilles. Bien qu’il ne soit nullement fatigué, il s’assit un moment à côté de son vieil ami, et il pouvait le dire, il ressentait de la joie et de la paix.

En observant la mare, il constata que quelque chose était étrange. Il n’y avait pas la moindre trace de vie d’un être humain, ni de robot fonctionnel, alors comment cela se faisait que ce lieu soit si bien entretenu ? Alors que la vie poursuivit son cours, aucunement troublée par sa présence sur ce banc, il fit une multitude de recherches pour comprendre. Afin d’être sûr qu’il n’y avait personne ici, il grimpa au niveau des ruines du temple, à l’endroit où il se souvenait qu’elles se trouvaient, ne restant plus que quelques blocs de pierre recouverts par la nature. Mais il ne trouva personne.
En se retournant, il avait un visuel dégagé sur la mare, le banc, la vallée. Et là encore, rien. Il aperçut un groupe de biches au loin, ruminant en silence. Le vent soufflait encore, faisant onduler les herbes hautes. Avait-il besoin de partir ? Sa soif de découvertes le poussait à voyager, encore et encore. Mais ici, ce serait un paradis de paix pour lui.

Pendant qu’il redescendait à la mare, le soleil avait commencé à se coucher, nimbant la vallée d’une flamboyante couleur orangée. Comme sortant d’un conte horrifique, les ombres s’étendaient indéfiniment.

Et en un claquement de doigts, alors qu’il patientait en observant le gardien des lieux, la nuit froide et sombre remplaça la fin de journée. Lui qui était parfaitement nyctalope, cela ne le dérangea pas. 

Soudainement, un mouvement dans le coin de son champ de vision l’arracha à ses calculs, et il se retourna, la main sur le pommeau de son sabre, en train de dégainer. Ce qu’il avait sous les yeux, il ne l’avait jamais vu. Partout, de petits êtres, pas plus gros qu’une pomme, se manifestaient. Certains étaient blancs, nimbés d’une lueur sélénite les faisant luire. D’autres étaient noirs, semblables au ciel nocturne, éclairé par une pleine lune distante. Tous étaient entièrement poilus, donnant à certains des apparences de boules de poils. Leurs formes variaient grandement, de la simple chenille à la sphère, en passant par les êtres humanoïdes à grande tête ou de drôles d’animaux à trois pattes.

Si lui était absorbé dans leur observation, eux l’ignoraient royalement, s’employant à entretenir le lieu, tassant l’herbe ou la coupant, retirant les ronces ou les autres plantes parasites, taillant des plantes, nettoyant l’eau de la marre…

De ce qu’il pouvait voir, ils n’étaient actifs qu’autour de la mare, ignorant les alentours. Il n’y comprenait rien, si ce n’est que ce n’étaient pas des ennemis, mais des sortes de gardiens.

Devait-il vraiment partir ? s’interrogeait-il de nouveau.

La réponse était évidente et s’imposa d’elle-même.

Oui, afin de découvrir d’autres lieux comme celui-ci, le laissant perplexe. Et il le savait, ici son ami était entre de bonnes mains, il ne risquait rien.
Ainsi, au petit matin, après avoir observé ces petits êtres s’affairer, il reprit sa route vers sa soif de curiosité. 

Crise de pouvoir

Il y a quelques temps, j’avais trouvé cette photo, et je m’étais un peu trituré les méninges pour savoir qu’en faire. Et voici le résultat. J’en suis satisfait, bien que j’aurai pu la sortir plus tôt. Bref.

Source : https://static.nationalgeographic.fr/files/styles/image_3200/public/nationalgeographic448502.webp?w=1190&h=801

National géographic

Certaines rencontres ont plus de poids qu’on le pense, et si un instant peu changer une vie, une rencontre aussi.

D’un geste de la main, il appela un taxi qui vint se garer devant lui. Il ne saurait dire combien il en avait vu dans les films et les séries qu’il avait regardés, et leur jaune à la fois inconnu et familier le rassura. Un poil plus sale que ce qu’il imaginait, mais rassurant. D’un geste peu assuré à cause du froid nocturne, il récupéra son sac de voyage et l’ajusta sur son épaule, sa mallette de son autre main et se glissa à l’intérieur du taxi. La douce chaleur de l’habitacle l’enveloppa alors que la porte se refermait et il soupira, à la fois heureux de quitter l’air piquant et content de se s’asseoir enfin.
 
« Bonjour monsieur, je serai votre chauffeur aujourd’hui. Je suis Nurali et je représente la société BnL. Où souhaitez-vous aller ?
 
– Ah ! Euh… balbutia le passager. À l’hôpital Dipper Falls, sur… il sortit un papier sur lequel il chercha une information, sur Oregon street, s’il vous plaît.
 
– Ça marche monsieur, on est parti ! lança le chauffeur avec entrain, en rallumant son moteur et en s’engageant sur l’avenue surchargée.
 

Tous deux gardèrent le silence un moment, profitant du calme et de la quiétude assurés par le cocon formé par le taxi, en opposition avec la vie nocturne new-yorkaise à l’extérieur, en plein mois de décembre. Mélangeant de nombreuses technologies de pointe, le taxi flottait au-dessus de la route, offrant un confort de conduite inégalable. Les vieux moteurs à essence ne faisaient plus partie que de l’histoire, de nombreuses lois et réformes les ayant chassés des routes, remplacés par l’hydrogène, le moteur à synergie [ Il s’agit en réalité d’un moteur à mouvement “perpétuel”, assuré par un jeu de poids et d’aimants rapprochés les uns des autres pour permettre d’accélérer ou de ralentir.] ou les supraconducteurs. Ces moteurs avaient eu de belles difficultés à s’installer dans certains pays, anciens leaders mondiaux, récalcitrants au changement, habitués aux moteurs à essence et dans une situation financière instable et difficile après des crises successives. Crises provoquées par l’effondrement du modèle capitaliste et de l’hégémonie des pays dits du Nord. Ces derniers furent donc obligés de se cantonner à de vieilles technologies, où de mauvaise facture, les ralentissant dans leur développement, laissant les pays ayant réussi le leur, devenir les principaux pôles technologiques et économiques mondiaux. Aujourd’hui encore, l’Europe est à la peine, minée de toute part de problèmes politiques, économiques et de soulèvement de la population.

Très lentement, à la manière d’une personne savourant une glace avec plaisir, les lumières de la ville venaient lécher le taxi, le teintant d’une myriade de couleurs bariolées, dont certaines que je ne saurai vous décrire. À l’instar de la route, les trottoirs et les magasins étaient surchargés, faisant se demander au passager comment autant de monde pouvait vouloir souffrir dans le froid.

– Vous semblez fatigué, fit remarquer le chauffeur, un problème avec votre pouvoir ?

– Hein ? Comment ça ? répondit le passager avec difficulté, visiblement arraché à ses pensées. Qu’est-ce qui vous fait penser ça ?

– Oh, désolé si je suis indiscret. Je ne voulais pas. Simplement, l’hôpital Dipper Falls est réputé pour ses recherches dans le domaine des pouvoirs, et de leur étude. Vous avez du mal a reprendre votre souffle, et vous semblez ailleurs, il est assez simple de comprendre que ça vient de là. Mais rien ne vous oblige d’en parler.

– Ce n’est rien, c’est normal de se poser des questions en voyant un type arriver dans son taxi couvert de bandages, à la façon de SilverFang.

– Oh, je l’ai déjà rencontré ! s’exclama Nurali. Sympa, mais il a une trop haute opinion de lui-même. Dommage, il serait un peu plus apprécié sinon. Désolé, j’aime bien parler et quand je commence, je ne sais plus m’arrêter. Prenez un peu d’eau et quelques sucreries pour vous aider à vous détendre. C’est compris dans la course.

À l’arrière du siège passager, une trappe s’ouvrit face au passager, laissant apparaître une petite bouteille d’eau et quelques bonbons.

– Merci, c’est gentil, mais je ne peux pas accepter… refusa poliment le passager.

– Ces commodités sont incluses dans la course, insista tout aussi poliment Nurali. Vous pouvez les emporter avec vous, et si vous préférez de l’eau pétillante, il suffit de le demander. Nous proposons également du chocolat, mais il faut s’acquitter d’un petit supplément.

Absorbé par une intense réflexion et observation de la rue, il ne répondit pas. Il se contenta de soupirer et de se laisser un peu s’affaisser dans le siège. Ses pensées étaient plus excitées que des puces, fusant dans tous les sens et ne lui laissant pas le temps de les saisir, de les comprendre. Au lieu de cela, son esprit était embrumé, ne parvenant pas à se calmer et à se fixer sur une idée. Pour s’aider un peu, il attrapa la bouteille d’eau et en but une gorgée.

– Merci, cette eau plate est amplement suffisante. Je ne suis pas fan de bonbons, mais si vous avez des noix, je suis preneur, répondit-il finalement d’une voix lasse.

– Bien sûr, confirma Nurali, laissez-moi simplement quelques secondes, histoire de ne pas provoquer d’accident. Voilà.

Et la trappe de s’ouvrir de nouveau, cette fois sur une bolinette remplie de noix décortiquées.

– Merci, remercia-t-il de nouveau, le visage baigné de la lumière rose d’un sex shop dans la rue. J’en ai besoin. Ce matin encore, j’étais en France, mais j’étais déjà une momie, plaisanta-t-il de mauvaise grâce.

– Je n’osais pas vous demander ce qui vous est arrivé, reconnu le chauffeur. Rien de grave ?

– En soi, non. Mais… hésita-t-il un instant avant de poursuivre, mais suffisamment grave pour changer une vie.

Nurali l’observa à travers le rétroviseur central, avec le respect silencieux d’un auditeur attentif.Son passager soupira de nouveau et poursuivit.

– Tout ça, le look momie c’est nouveau pour moi. J’étais en train de travailler quand c’est arrivé. Avec des amis, on a monté une boîte pour produire un outil permettant de produire très rapidement de l’eau, à partir de l’oxygène présent dans l’air et une capsule d’hydrogène. Sans que je ne sache l’expliquer, je me suis brusquement senti nauséeux et des démangeaisons m’ont parcouru de la tête au pied. Rapidement, c’était comme si je débordais d’énergie que je pouvais tout faire ! Mais au prix d’une céphalée atroce. Et tout aussi soudainement que le mal me prit, mon corps émit une puissante onde de choc, renversant tout et tout le monde autour de moi, brisant verre, vitres et écrans, cassant les meubles, tordant le métal, blessant mes amis en les projetant contre les murs… Une amie très chère est en train de se battre pour rester en vie. J’ai perdu connaissance à ce moment-là, mais les forces de l’ordre m’apprirent à l’hôpital que j’avais produit une grande quantité de chaleur, bousillant notre prototype, les résultats de nos premiers tests… Nous étions pourtant si proches du but ! Les forces de l’ordre et les secours sont arrivés rapidement, et ont d’abord pensé que j’étais un autre malade qui avait fondu un plomb et lâché son pouvoir sur des innocents, poursuivit-il après un silence transpirant de colère et de douleur. Lors de ma garde à vue, ils ont pu confirmer que je n’avais pas de pouvoirs, et heureusement, c’était inscrit à l’état civil.

L’homme se tut de nouveau et regarda par la fenêtre, essayant de contrôler les sanglots qui l’assaillaient, reniflant bruyamment.

– Cela m’a permis de sortir assez facilement, mais avec obligation de venir ici, à l’hôpital Dipper Falls, afin d’être certain que ce n’était pas un pouvoir latent qui se réveillait finalement. D’autant plus qu’il était instable et dangereux. Dans l’heure qui suivit cet événement, mon corps s’est recouvert d’excroissances osseuses, pareilles à des pics. Un pompier a manqué d’être blessé !

– Et le style momie, c’est pour quoi ? s’enquit Nurali, cherchant à dévier un peu la conversation. Votre « pouvoir » vous a blessé ?

– Même pas, répondit le passager en secouant la tête. Avant de perdre connaissance, j’ai soudainement perdu mes vêtements, ils me sont passés à travers et j’étais nu, face à une vingtaine de personnes, ce qui fit rire le chauffeur. De fait, j’ai tellement eu honte que je n’avais qu’un souhait : disparaître. Mon corps a exaucé mon vœu et m’a rendu invisible.

– D’accord, ça explique les bandages. Et le trajet vers l’hôpital. Impossible d’annuler ça ? s’enquit Nurali après un court silence.

– Je n’en ai aucune idée, mais je l’espère. Je ne souhaite pas être invisible permanemment. D’autant plus que sous cette forme, je suis incroyablement léger, un coup de vent est suffisant pour me souffler au loin.

Le silence, encore et toujours, s’installa alors que le taxi s’engouffrait dans une voie d’accès au fastLoop, un réseau de tubes à air comprimé permettant d’accéder à tout le territoire américain en moins d’une heure. Construit selon les plans d’un homme d’affaires touche-à-tout ayant eu une idée similaire, ce moyen de transport était d’une efficacité effrayante et avait été déployé de par le monde afin de supplanter l’avion. Son installation avait cependant demandé des travaux colossaux, que nombre de personnes qualifièrent de « Désastre écologique de l’Histoire », tant sa production et son installation avaient pollué. L’idée avait été émise de calquer ce principe au transport de marchandises, mais fut immédiatement oubliée, tant le coût était important, dépassant dans des grandeurs inimaginables, celui du fastLoop pour le transport humain.

– Vous l’avez déjà emprunté ? s’enquit le chauffeur en se retournant vers son passager, qui secoua la tête en réponse. Ah, et bien il se peut que vos oreilles se bouchent à cause de la pression, ce n’est rien. Cela passe une fois sorti du FL, mais si cela vous dérange durant le trajet, essayer de souffler par le nez en vous le pinçant et en gardant la bouche fermée. Ah, regardez, le feu est vert, on peut y aller.
Ils s’engouffrèrent alors dans un tunnel, suffisamment large pour ne laisser passer qu’une voiture, baigné d’une douce lumière bleue, bioluminescente. Afin de réduire drastiquement la consommation énergétique des états, et notamment de leur éclairage, de nombreux pays avaient fait le choix de la bioluminescence, qui n’utilisait que très peu d’énergie et qui n’émettait qu’aussi peu de pollution. Deux grandes écoles s’opposaient dans ce commerce : la bioluminescence produite par certains poissons ou certaines méduses, et celle produite par des champignons.
Après quelques rapides instructions données par un opérateur à l’entrée du fastLoop, le taxi fut propulsé en avant en avant à une vitesse modérée. Au cours du trajet, je tunnel était faiblement éclairé, laissant les passagers dans une légère pénombre.

– Je comprends que ce soit compliqué, le rassura le chauffeur après un court silence, mais ne perdez pas espoir. Il y a toujours un moyen de remonter la pente. Par exemple, poursuivit-il devant la moue de son passager dans le rétroviseur, prenons le cas d’un chauffeur de taxi. Imaginons que ce dernier soit arrivé illégalement aux Etats-Unis il y a vingt ans, avec sa famille, pour fuir la guerre. L’installation se fait, un peu péniblement pour eux, le fameux nouveau rêve américain en tête. Ils enchaînaient les jobs peu payés, mais suffisamment pour permettre aux enfants d’aller à l’école. Imaginons, toujours, que la Brigade de Anti Immigrés les aient retrouvés, à cause de ces petits boulots. Continuons d’imaginer, que le chauffeur ne doive son salut que grâce à se femme, qui lui avait obtenu des faux papiers, sans l’en informer, convainquant les membres de l’immigration. Sa famille devait reprendre le bateau, vers l’Europe, mais ce n’était pas grave, ils avaient toujours moyen de revenir. C’était malheureusement sans compter sur les fanatiques de cette brigade, qui avaient prit soin de placer des explosifs dans ce bateau…

Un nouveau silence s’imposa, estomaquant. Seul le bruit du taxi avançant dans un souffle pouvait être entendu.

– C’est horrible, parvint à articuler avec difficultés le passager. Toutes mes condoléances.

– Oh, mais je n’ai pas dit que cela m’était arrivé ! Ricana Nurali. Après cela, il est rentré chez lui, sans faire de vagues. S’il en avait fait, il aurait connu le même sort. Et… il devait vivre. Pour l’ensemble des personnes qui étaient sur ce bateau, et encore plus pour sa famille. Son quotidien devrait maintenant se faire avec la douleur et l’absence, mais c’est ce qui lui permit et lui permet de garder la tête haute tous les jours, ainsi que d’aider ceux qui en avaient besoin. La vie lui avait réservé de belles surprises, voire de très belles, il ne tenait qu’à lui de continuer d’avancer.

Le taxi ralenti assez soudainement, avant de s’immobiliser totalement face à une grille surmontée d’un feu de signalisation. Nurali échangea quelques minutes avec une opératrice du fastLoop alors que le passager garda le silence. Il le partagea lorsqu’ils sortirent du tunnel et jusqu’à ce que l’hôpital soit en vue.

– Merci, dit le passager. J’avais besoin de ça, de vous entendre parler. Je suis terriblement désolé pour ce qui vous est arrivé.

– Ne vous inquiétez pas, c’est parfaitement normal de ne pas aller bien. Tout le monde a des coups de mou de temps à autre. Il faut simplement savoir continuer d’avancer. Demain est un autre jour, et il y aura toujours un demain. Non, ce sera gratuit pour vous monsieur, dit-il fermement mais poliment en voyant le passager porter la main à sa poche.

– Encore merci, répondit l’intéressé après avoir insisté longuement et rangé son portefeuilles.

L’hôpital est juste là, plaisanta le chauffeur en désignant du doigt l’immense bâtiment éclairé en pierres blanches devant lequel était écrit en grand Dipper Fall Hospital.

– Je vous remercie, je pense que je l’aurai raté sans vous, plaisanta le passager. Faites attention à vous, dit-il en sortant du véhicule chargé de ses affaires. au plaisir de vous revoir.

– Vous de même. Au plaisir.

Et aussi vite que la vie les avait mis sur la même route, ils se séparèrent, continuant d’avancer vers ce qu’elle leur avait réservé.

 

 

Bestiaire : Ophiocordyceps Latéralis

Les champignons…

Quels …

Quoi ? Que sont les champignons ?

De grands experts et spécialistes se sont essayés à répondre à cette question, ce qui me fascine et continuera de le faire pour un long moment. Cette capacité à chercher des réponses, en considérant que les théories et réponses existantes sont erronées, est stupéfiante. D’autant plus lorsque les réponses trouvées sont en tout point identiques à celles existantes et donc erronées (selon le postulat de base). Je ne suis pas là pour donner la mienne, parce qu’elle n’a aucun intérêt ! Mais il est cependant utile de parler un peu des champignons avant de parler de la créature qui capte notre attention.

Ni plante ni animal, les champignons sont une catégorie du vivant à part entière, ce qui est fantastique. Beaucoup d’autres catégories du vivant ont eu besoin de se rassembler pour être pleinement représentées. En réalité, ce serait oublier la quantité hallucinante d’espèces de champignons qui existent, possédant toutes des caractéristiques aussi variées. Il faudrait prendre le temps de faire un papier à part les concernant, mais il est simple de parler des espèces les plus répandues comme les bolets, les chanterelles, les cèpes, les calocères, les clavaires, les amanites, les hygrophores ou les truffes par exemple. Je l’avoue, je trouve les noms des champignons originaux et amusants à dire ou écrire.

Ils sont essentiellement composés d’eau, nous dépassant dans le chiffre des 65%. Ils sont absolument partout, ayant investi tous les lieux du vivant : l’air, la terre, l’eau (douce ou salée). Certains des experts dont on abordait le travail un peu plus tôt, estiment que leur existence remonte à très loin dans le temps, bien avant le temps des hommes, ou même des dinosaures ! Et toujours selon eux, ils auraient joué un rôle capital dans l’évolution de la flore, l’aidant notamment à se diriger hors de l’eau !

Ici, nous n’aborderons pas les champignons qui peuvent malheureusement peupler les corps humains, attaquer les habitations ou produire du fromage, fort savoureux. Non, nous ne parlerons que de ce qui peuple les bois et forêts de notre beau monde. Les experts n’ont pas fini de les dénombrer, je ne vous offrirais donc pas de nombre, préférant ne pas vous donner une fausse information. Ce que je sais en revanche, c’est que le plus grand ferait un peu plus de quarante hectares ! Un véritable mastodonte qui pèserait la bagatelle de quatre cent tonnes ! Ahurissant ! Tout simplement… Comment est-ce possible ? Le champignon n’est pas seulement la partie visible, à savoir le sporophore. Ce dernier n’est que l’appareil reproducteur du champignon, étant par ce biais qu’il émet des spores. Non, le champignon est en réalité bien plus grand et se trouve sous terre, légèrement sous la surface. Le mycélium est un long filament, généralement blanc, et c’est cela qui couvre quarante hectares pour notre champion. Quelques variétés sont comestibles et la faune ne se fait pas prier pour les déguster goulûment, s’en servant aussi parfois comme d’un lieu d’habitation. Les champignons sont aussi très utiles pour la nature, décomposant les bois, morts ou non.

Je ne pourrai pas prendre le temps de détailler toutes leurs utilisations, mais je souhaite en aborder certaines, absolument ingénieuses et stupéfiantes. Des apothicaires s’en servent pour soigner des malades et blessés, ou pour atténuer leurs douleurs ; des shamans en font la même utilisation, ce à quoi j’émettrais quelques réticences, connaissant également comment ils en utilisent pour entrer en transe et communiquer avec les esprits ; des guerriers de contrées bien au nord, se transmettent des connaissances à propos de champignons aux propriétés fascinantes, et tout autant terrifiantes, leur assurant par exemple de ne plus ressentir la douleur, de démultiplier leur force, de les priver de la peur, au prix d’effets secondaires souvent graves pouvant conduire à la mort. D’autres, et celui qui nous intéresse en fait partie, ont des caractéristiques impressionnantes, notamment parasitaires.

Ce qui m’amène à ma rencontre avec l’une des créatures vivantes les plus terrifiantes que je n’ai jamais rencontrées. Et croyez-moi, j’en ai rencontrées quelques-unes des créatures effrayantes ! Celle-ci se place loin devant toutes les autres, provoquant un sentiment d’horreur absolue, bien supérieur à celui des Sancrelunes bicéphales, des purulorentules, des harpies de sel, des sans-visages des trois plaines et des chatons. Ces derniers sont clairement les plus terrifiants, et s’ils n’étaient pas handicapés par leur taille réduite, il ne fait aucun doute qu’ils auraient déjà asservi notre population ! Je vous toucherai un mot ou deux sur ces créatures, mais je ne dois pas m’étaler à leur sujet pour le moment. Non, sinon finir cet écrit et le lire en entier serait une tache inhumaine.

Cela remonte au cinq du mois de Brumidor, de l’an… cela n’a pas d’intérêt de le savoir. J’étais en chemin pour étudier des sans-visages qui avaient été observés dans les régions nordiques surplombant le Grand continent. Ces créatures n’étaient absolument pas endémiques de ces régions, il était donc capital de savoir ce qu’elles faisaient ici. Et ce, que ce fût par accident, ou qu’il s’agisse des premiers spécimens observés et observables d’une espèce inconnue. Cela était grandement excitant ! Je n’avais pour ainsi dire, jamais étudié de nouvelles espèces, alors j’étais impatient de me lancer dans leur étude ! La nouvelle de cette découverte me parvint alors que je devais prendre la parole au forum sur les créatures aquatiques des trois vallées. Je l’ai quitté en urgence, afin de me rendre dans l’immédiat auprès des experts observant les sans-visages. Je n’ai rien raté d’intéressant, ces crétins de soi-disant experts du forum discutaient (et avec vigueur en plus !) de la classification du dragon bulle. Une perte de temps.

En raison de sa position géographique, je disposais de deux possibilités pour rejoindre mon objectif : soit emprunter la route commerciale qui relie les trois grands royaumes de l’ouest aux régions du nord, soit couper à travers le Grand continent et de traverser la forêt des cendres, les gorges de souffre et la toundra du clan Cesvi. L’une est relativement sûre, les gardes de chacun des royaumes qu’elle traverse l’arpentant, mais a l’inconvénient de demander trois mois de voyage à cheval ou en calèche. L’autre, bien moins sûre, n’en demande qu’un… C’est alors que, dans la fougue de ma jeunesse idiote, je m’élançais à travers le Grand continent. Les détails de mon voyage ne sont pas des plus palpitants, aussi je vous en épargne. Après trois longs jours de marche, j’atteignais l’orée de la forêt, couverte des cendres qui lui donnaient son nom. A cause d’une pluie récente, l’air était chargé d’une odeur humide et pâteuse, accompagnée des relents âcres et secs des cendres. Aujourd’hui encore, personne ne sait pour quelles raisons toutes ces cendres viennent se déposer ici. Une hypothèse qui est pour moi la plus pertinente, et la mienne, est de tenir compte de la baie brumeuse, plongée comme éternellement dans le brouillard. Je suis à peu près certain qu’un volcan sous-marin s’y trouve et qu’avec le temps, il s’est mis à dépasser de l’eau. Ce dernier projetterait ses cendres en l’air et le brouillard les cacherait. Elles s’accrocheraient aux nuages passant par-là, et arrivant au-dessus de la forêt, une chute de pression les y ferait tomber. Mais mes connaissances sont essentiellement concentrées sur les créatures du vivant, je suis bien plus limité concernant la mécanique et la physique qui le régit.

Mais revenons à nos bouftons. Je suis ensuite entré dans la forêt à la suite d’une observation curieuse de son orée. C’était la première fois que je m’y aventurais, et je fus fortement déstabilisé par les premiers pas que j’y ai marchés. J’avais la sensation d’être coupé du monde, ou d’avoir voyagé dans un tout nouveau. L’air semblait saturé de cendres, les empêchant de tomber au sol à une vitesse normale, on aurait dit qu’elles ne souhaitaient pas rejoindre le tapis de poudreuse par terre. Évidemment, les arbres et arbustes y étaient très grands, car, bien que les cendres obscurcissent les lieux, une douce lumière fade filtrait jusqu’au sol. Plus on s’enfonçait au sein des bois, moins la lumière solaire parvenait à se frayer un chemin jusqu’au sol.

J’ai passé deux longues semaines dans ces bois, à suivre l’un des chemins qui y serpentaient. Et pour y avoir vécu un épisode pluvieux, je peux vous garantir que ces cendres sont un enfer une fois détrempées ! Pires que de la boue, elles collent et salissent tout ce qui entre en contact avec elles ! Je n’y avais pas fait attention en entrant dans cette forêt, mais une ligne de démarcation de la crasse était visible sur le tronc des arbres eux-mêmes ! Ce lieu est hautement intéressant, notamment pour les biologistes. Il existe justement plusieurs bivouacs les regroupant autour et à l’intérieur des bois. Deux d’entre eux sont animés par une petite bisbille, liée à la paternité d’une découverte, mais rien qui pourrait nous chaloir. Ce dont je souhaite vous parler a eu lieu après avoir quitté le camp des erpétologistes, qui se sont installés dans une zone de la forêt où les reptiles en tout genre existent en très grande quantité. On y trouve d’ailleurs de fascinants spécimens exclusivement endémiques à la forêt des cendres, dont la salamandre braisée, qui se cache dans les cendres pour chasser et qui est capable de cracher du feu ! Elle ne doit sa classification en tant que salamandre qu’à cause de sa taille et de son crachat de flammes, trop impuissant.

Désolé, je digresse de nouveau… Je venais donc de quitter ce fameux camp lorsque j’entendis un bruit très proche du cri animal, mais tout aussi proche du râle de douleur. Comprenez bien qu’il s’agit d’une forêt dans laquelle de nombreux animaux provenant d’aussi nombreuses espèces habitent, prédateurs comme proies, il est donc plus que normal d’y entendre des cris de douleur. Et ce cri me fit sourciller, puisqu’il ne s’agissait pas du cri de douleur d’une créature blessée ou en train de se faire dévorer. Et bien que j’eusse perdu mes sourcils après ma rencontre avec une créature capable de cracher du feu ! Je ne parvenais pas à déterminer la source de ce cri, et cette pensée m’obnubila la journée durant, jusqu’à ce que j’installe mon camp pour la nuit, entre deux gros arbres massifs.

Et là encore, il m’accompagna dans chacune de mes tâches. L’agacement qu’il provoquait se mua progressivement en inquiétude alors que je m’installais pour dormir. Ce n’était pas normal qu’il perdure malgré la tombée du voile sombre. J’étais cependant bien impuissant face à ce bruit, que je ne savais qualifier. Un prédateur aurait été silencieux, pareil à la mort, me suis-je alors dit, cela ne pouvait donc pas en être un.

Je n’eus cependant pas à attendre très longtemps pour que cette pauvre bête ne se montre. D’abord simple trait sombre se dessinant au loin, difforme, ne représentant aucune créature que j’avais eu la chance de croiser de ma vie. Et j’en ai vu des créatures ! Un paquet même !

Alors qu’elle approchait, son faible cri plaintif la précédait, et chacun de ses pas me laissait apercevoir un détail de plus. C’était une créature au poil gris, de la taille d’un renard, adulte… Je ne pus dire tout de suite si c’était un renard cendré ou non, les espèces vivant dans cette forêt étant très difficiles à identifier. Ce que je pus voir cependant, c’est qu’il souffrait. Horriblement. Et diable ! Que j’étais terrifié ! Plus que je ne l’avais jamais été.

Cette pauvre bête n’attendait plus que la visite de la faucheuse. Plusieurs stipes[1] se terminant par des petits réservoirs percés, desquels s’échappaient des spores, sortaient de son corps, dont ses yeux. Cet infortuné renard n’était pas mort lors de la pousse de ces appendices, en témoignaient les cicatrices qu’il s’était fait en cherchant à les retirer, certaines suffisamment profondes pour laisser apparaître sa boite crânienne. Plusieurs os de son corps rachitique étaient visibles d’ailleurs, que ce soit sa cage thoracique, ses pattes et sa colonne vertébrale.

C’était pour moi une véritable torture que de le regarder ainsi, mais je n’avais pas le temps de me lamenter sur son sort ! Loin de là ! Je ne l’ai pas présenté, cela étant trivial pour moi, mais ce renard était infecté par un champignon très rare (heureusement) : Ophiocordyceps lateralis. Ces derniers n’infectent généralement que des insectes, notamment certaines espèces de fourmis ou d’araignées. Il ne s’agit normalement que d’un hôte temporaire, puisque l’objectif est d’infecter des oiseaux. C’est en effet dans leur corps qu’ils arrivent à y développer leurs spores. Les volatiles en question viennent manger les insectes infectés, ce qui les infecte à leur tour. Le fungus fait d’ailleurs preuve d’une grande ingéniosité pour faire en sorte que sa consommation ait lieu. Il fait grimper l’insecte infecté en haut d’un arbre ou d’un arbuste où il s’accrochera à une feuille. Il recouvrira alors le corps de son hôte de mycélium aux teintes jaune ou rouge vives, afin de bien être visible. Il arrive dans de très rares cas que le fungus se retrouve dans l’organisme d’un hôte plus gros qu’un oiseau, comme des mammifères de petite taille. Vous l’aurez compris, que l’hôte ici soit un renard fut problématique, et je saisis que j’avais affaire à un spécimen exceptionnellement puissant d’Ophiocordyceps lateralis.

Je devais donc l’éliminer. La survie de la forêt reposait là-dessus. Problème, et de taille : la malheureuse bête m’avait repéré et me bondit dessus avec une vitesse et une agilité que je ne lui aurais jamais soupçonné. Je fus alors arraché de mon lit de fortune, dans lequel il se bloqua. C’est purement cette intervention de la chance qui me permet actuellement d’écrire ces mots. Ces malheureuses bêtes sont pareilles à des zombies et ne fonctionnent plus que comme des insectes, à savoir en réponse à de simples stimuli comme la présence d’une proie potentielle, la présence d’un danger, la présence d’un congénère du sexe opposé… J’étais ici une proie et un hôte potentiel pour l’Ophiocordyceps lateralis. Agissant dans la précipitation, j’attrapai une couverture avec laquelle je calais mon sac dans mon dos lors de la marche, et enveloppai ma cible avec. Je pouvais entendre ses jappements de douleur et de colère alors qu’il se débattait comme un diable, ainsi que les stipes sur son corps se briser alors que j’écrasais cette masse de couvertures grouillante. Vous le comprenez aisément à présent, mais je ne voyage jamais seul. Le danger m’accompagne dans chacune de mes aventures, peu importe quel sol je foule. Alors j’ai toujours avec moi de quoi me défendre. Une petite dague ouvragée avec patience et talent, ornée d’une myriade de gravures que mes piètres capacités de description ne peuvent et ne pourront jamais décrire correctement. Et un gourdin rudimentaire, fait pour frapper et assommer. Il était hors de question de le battre à l’aide de ce dernier jusqu’à ce qu’il perde la vie. Non, il souffrait déjà assez, inutile d’en rajouter. D’un geste mal assuré, je tâtai la couverture pour trouver son poitrail et son cœur, afin d’y glisser la pointe de ma dague. Ce ne fut pas simple, et j’eus peur de devoir ouvrir la couverture pour trouver à l’aide de mes yeux. Finalement, après bien des essais et de longues heures à craindre pour ma vie, j’y suis parvenu. Je ne pouvais cependant pas laisser cette bombe à retardement au milieu de cet environnement si riche en vie ! Je brûlai donc son corps encore enveloppé de la couverture, infectée par les spores du fungus.

Trop bien éveillé pour ensuite retrouver le sommeil, je me suis aventuré jusqu’au bivouac flambant, celui situé le plus au centre de la forêt, où elle est si dense qu’il est obligatoire de laisser des feux allumés en permanence. Là, je leur ai raconté mon aventure, qu’ils eurent bien des difficultés à croire ! Je les comprends, c’est bien la seule fois qu’on entendait pareille histoire. Et je vous le dis en ayant feuilleté de nombreux ouvrages en discutant, et en ayant conversé avec de nombreux spécialistes du sujet, me prenant pour un fou, ou un illuminé cherchant un moment de gloire parce qu’il a été le premier à assister à quelques évènements invraisemblables.

Peut-être que cela vous intéresse, mais je suis bien parvenu à ma destination, finalement. J’ai pu observer les premiers spécimens d’une nouvelle espèce, ce qui m’a valu de connaître un certain intérêt de mes pairs, pendant quelque temps. J’en étais bien content à l’époque ! Avec le recul, cela m’a desservi, étant invité par mont et par vaux pour participer à des colloques plus inutiles les uns que les autres… La célébrité a toujours un revers, loin d’être plaisant.

Je ne vais pas vous abreuver éternellement de mes histoires, je conçois qu’elles vous désintéressent quelque peu. Je vous recommanderai seulement d’être prudent avec les fungus, et de les détruire par le feu si d’ordinaire vous ne croisiez leur chemin. Ils ont une grande capacité de résistance, et un simple nettoyage au savon est inefficace. Cela serait même une forme de suicide, puisque vous seriez dans l’obligation de manipuler le parasite pour le nettoyer.

Finalement, et je vous laisserai sur ces mots, gardez bien à l’esprit que les champignons, quels qu’ils soient, peuvent être considérablement utiles, voire vitaux, mais qu’ils sont à manipuler avec une extrême prudence, pouvant devenir mortels pour celles et ceux ne les connaissant pas suffisamment.

 

 

 

[1] Organe du champignon supportant le chapeau, aussi appelé « le pied »

Alors, comment était la lecture ? J’espère qu’elle vous a plus. J’ai mis un peu de temps pour l’écrire et la corrigée, mais je suis à peu près certain d’avoir laissé passer quelques choses. Rien de grave (si vous en voyez, n’hésitez pas à les signaler, je les corrigerais ! ).

Dans tous les k, j’ai aimé l’écrire, les champignons étant un domaines intrigant. Pour information, ce genre de champignon parasitaire existe. L’ophiocordyceps unilatéralis est l’un d’entre eux et n’infecte que des insectes, les fourmis et araignées il me semble. Il en existe d’autres, infectant également les escargots, par exemple. Cette vidéo vous montre le phénomène https://www.youtube.com/watch?v=DC_NMn8xqKQ

Merci encore pour votre lecture, et si vous avez apprécié, n’hésitez par à partager ceci, ça m’aide beaucoup !